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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/81

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nouvelles est en France ; mais quand bien même il serait dans ma poche, et que vous ayez la panse pleine de shillings, je ne voudrais pas que l’on fît mal à un cheveu de sa tête.

Je sentis que je m’y étais pris à rebrousse-poil, et, sans perdre de temps à m’excuser, je lui fis voir le bouton dans le creux de ma main.

– Très bien, très bien, dit Neil ; mais je crois que vous auriez dû commencer par là. Enfin, si c’est vous le garçon au bouton d’argent, tout va bien, et j’ai l’ordre de veiller à ce que vous arriviez à bon port. Mais si vous voulez me permettre de vous parler net, il y a un nom que vous ne devez jamais prononcer : c’est celui d’Alan Breck ; et il y a une chose que vous ne devez jamais faire : c’est offrir votre sale argent à un gentleman highlander.

Il ne m’était pas très facile de m’excuser, car je ne pouvais guère lui dire (c’était pourtant la vérité) que je n’aurais jamais songé qu’il pût prétendre à la qualité de gentleman, avant qu’il me l’eût dit. Neil, de son côté, ne tenait pas à prolonger la conversation, mais seulement à remplir ses instructions et en avoir fini avec moi ; et il s’empressa de m’indiquer mon chemin. Je devais passer la nuit à Kinlochaline, à l’auberge publique ; traverser Morven le lendemain jusqu’à Ardgour, et m’arrêter le soir chez un certain John de la Claymore, qui était averti de mon arrivée ; le troisième jour, passer un loch[27] à Corran et un autre à Balachulish, et puis demander James des Glens à Aucharn en Duror d’Appin. Il y avait à passer l’eau plusieurs fois, comme on a pu voir ; car dans toute cette contrée la mer s’avance profondément dans les montagnes et enserre leurs contreforts. Le pays en est d’autant plus facile à défendre et malaisé à parcourir, mais aussi plus abondant en paysages extraordinairement farouches et grandioses.

Neil me donna plusieurs autres avis : ne parler à personne en chemin, éviter les whigs, les Campbell et les habits-rouges ; quitter la route et me cacher dans la bruyère si je voyais venir quelqu’un de ces derniers, « car il n’est jamais bon de se rencontrer avec eux » ; et bref, de me comporter comme un voleur ou un agent jacobite, ce pour quoi Neil me prenait peut-être.

L’auberge de Kinlochaline était plus misérable que la dernière étable à cochons de la terre, pleine de fumée, de vermine et de silencieux Highlanders. Je fus peu satisfait, non seulement de mon gîte, mais de moi-même, pour m’être aussi mal comporté avec Neil, et je songeais que je serais aussi bien dehors. Mais je me trompais, comme je devais voir bientôt, car je n’étais pas d’une demi-heure à l’auberge (me tenant sur le seuil la plupart du temps, pour éviter la fumée de tourbe qui me piquait aux yeux) qu’un orage éclata tout proche, les torrents se gonflèrent sur la petite colline où se trouvait l’auberge, et une extrémité de la maison fut envahie par un véritable fleuve. Les logements publics étaient plutôt mauvais par toute l’Écosse, en ce temps-là, mais je trouvai