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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/82

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quand même singulier, en quittant le coin du feu pour gagner mon lit, de devoir patauger dans l’eau jusque par-dessus les chevilles.

Je m’étais mis en route depuis peu, le lendemain matin, lorsque je rejoignis un petit homme trapu, d’allures solennelles, qui marchait à pas comptés, les orteils en dehors, lisant parfois dans un livre et parfois marquant la page avec son doigt, et vêtu simplement et décemment, d’une façon quasi cléricale.

Je trouvai en lui un nouveau catéchiste, mais tout différent de l’aveugle de Mull ; car il était de ceux-là envoyés, par la Société d’Édimbourg pour la Propagation de la Foi chrétienne, évangéliser les coins les plus sauvages des Highlands. Il s’appelait Henderland ; il parlait la langue traînante du Sud, que j’aspirais d’entendre ; et non seulement nous étions du même pays, mais nous nous découvrîmes bientôt un autre lien de commun intérêt. Car mon excellent ami, le pasteur d’Essendean, avait consacré ses loisirs à mettre en gaélique un certain nombre d’hymnes et de livres pieux, dont Henderland usait dans son ministère, et qu’il tenait en haute estime. C’était même un de ces livres qu’il avait à la main lorsque je le rencontrai.

Nous marchâmes de compagnie jusqu’à Kingairloch. Chemin faisant, il s’arrêtait pour causer avec tous les passants et les laboureurs que nous rencontrions ou dépassions ; et j’avais beau ignorer le sujet de leurs entretiens, je compris que M. Henderland devait être bien aimé dans la région, car j’en vis beaucoup tirer leur tabatière de corne, et y prendre une prise avec lui.

Je le mis au courant de mes affaires, autant que je le jugeai à propos ; c’est-à-dire autant qu’elles ne concernaient pas Alan. Je lui donnai Balachulish comme l’endroit où je me rendais, pour retrouver un ami ; car je réfléchis que Aucharn, voire même Duror étaient trop compromettants, et auraient pu le mettre sur la voie.

De son côté, il me parla beaucoup de son œuvre et des gens qu’il fréquentait, prêtres fugitifs et jacobites, de la loi de désarmement, du costume, et de maintes autres curiosités du pays et de l’époque. Il se montra modéré, blâma le parlement sur divers points, et spécialement parce que la loi punissait ceux qui portaient le costume, de façon plus sévère que ceux qui portaient des armes.

Cette modération m’inspira le désir de l’interroger sur le Renard-Rouge et les tenanciers d’Appin ; car ces questions, me disais-je, semblaient assez naturelles dans la bouche d’un voyageur qui se rendait dans ce pays.

C’était, à son dire, une déplorable affaire.

– On se demande, ajouta-t-il, où les tenanciers trouvent l’argent, car ils meurent de faim à la lettre… (Vous n’auriez pas sur vous une prise, monsieur Balfour. Non ? Du reste, mieux vaut que je m’en abstienne.) Mais ces tenanciers (comme je vous le disais) sont sans aucun doute en partie contraints. James Stewart de Duror (celui qu’on appelle James des Glens) est le demi-frère d’Ardshiel, le capitaine du clan ; et c’est