Aller au contenu

Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de ma surprise à voir Alan se redresser par instants de toute sa hauteur pour regarder en arrière ; et à chaque fois, il nous arrivait du lointain une grande huée et des cris de soldats.

Un quart d’heure plus tard, Alan fit halte, se tapit dans la bruyère, et se tourna vers moi.

– Maintenant, dit-il, c’est pour de bon. Faites comme moi, si vous tenez à votre peau.

Et à la même allure, mais cette fois avec beaucoup plus de précautions, nous revînmes sur nos pas en traversant le flanc de montagne par le chemin déjà parcouru, mais peut-être un peu plus haut ; tant qu’enfin Alan se laissa tomber à terre dans le bois supérieur de Lettermore, où je l’avais trouvé d’abord, et resta plaqué, le nez dans les fougères, à panteler comme un chien.

Mes flancs me faisaient un tel mal, j’avais la tête si vertigineuse, la langue me sortait de la bouche, si brûlante et sèche, que je m’abattis à côté de lui, comme mort.


XVIII. Je cause avec Alan dans le bois de Lettermore

Alan revint à lui le premier. Il se leva, alla jusqu’à la lisière du bois, regarda un peu au-dehors, et puis revint s’asseoir.

– Eh bien, dit-il, la poursuite a été chaude, David.

Je ne lui répondis rien, et ne relevai même pas la tête. J’avais vu commettre un assassinat ; j’avais vu un grand gentleman plein de vie et de force supprimé, en un instant ; l’horreur de ce spectacle me poignait encore, mais ce n’était là qu’une partie de mes soucis. Ce meurtre avait abattu l’homme haï d’Alan ; et voilà qu’Alan se dissimulait derrière les arbres et fuyait devant les soldats. Que sa main eût tiré, ou que sa tête eût ordonné, cela ne faisait pas grande différence. À mon sens, mon unique ami dans cette contrée sauvage était criminel au premier chef ; il me faisait horreur ; je ne pouvais plus le regarder en face ; j’aurais aimé mieux me retrouver seul, abandonné sous la pluie dans mon île, que parmi la tiédeur de ce bois, aux côtés d’un meurtrier.

– Êtes-vous encore fatigué ? demanda-t-il.

– Non, dis-je, le nez toujours dans les fougères ; non, je ne suis plus fatigué, à présent, et je peux parler. Vous et moi, il faut nous séparer. Je vous aime beaucoup, Alan, mais vos voies ne sont pas les miennes, non plus que celles de Dieu ; et le résumé de tout cela est que nous devons nous séparer.

– Tout de même, David, je ne me séparerai pas de vous sans raison plausible, dit Alan, avec une profonde gravité. Si vous savez quelque