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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/90

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chose contre ma réputation, le moins que vous puissiez faire, en faveur d’une vieille connaissance, est de me le dire ; et si vous avez seulement pris en dégoût ma compagnie, c’est à moi de juger si je suis insulté.

– Alan, dis-je, à quoi bon tout ceci ? Vous savez très bien que cet homme, ce Campbell, est là-bas couché dans son sang sur la route.

Il resta un moment silencieux, puis :

– Avez-vous jamais ouï conter l’histoire de l’Homme et des Bonnes-Dames ? – euphémisme par lequel il désignait les fées.

– Non, dis-je, et je n’ai aucun désir de l’entendre.

– Avec votre permission, monsieur Balfour, je vous la conterai tout de même, dit Alan. L’Homme, il faut que vous le sachiez, avait été jeté sur un rocher en mer, où il paraît que les Bonnes-Dames avaient coutume de venir se reposer, quand elles passaient en Irlande. Ce rocher se nomme le Skerryvore, et n’est pas loin de l’endroit où nous fîmes naufrage. Eh bien, l’Homme se lamentait et demandait à revoir son petit enfant avant de mourir, à si grands cris que la reine des Bonnes-Dames eut pitié de lui, et envoya un oiseau qui rapporta l’enfant dans un sac et le déposa à côté de l’Homme durant son sommeil. Quand donc l’Homme s’éveilla, il y avait à côté de lui un sac, et dans ce sac quelque chose qui remuait. Eh bien, c’était un de ces messieurs qui mettent toujours les choses au pis ; et, pour plus de sûreté, il planta son poignard au beau milieu du sac. Après quoi il l’ouvrit, et trouva son enfant mort. J’ai comme une idée, monsieur Balfour, que vous ressemblez beaucoup à cet homme.

– Voulez-vous dire que vous n’avez pas trempé dans ce crime ? m’écriai-je en me dressant à demi.

– Je vous dirai tout d’abord, monsieur Balfour de Shaws, entre nous, que si je m’en allais pour tuer un gentleman, ce ne serait pas dans mon propre pays, afin d’attirer des ennuis sur mon clan ; et je ne me trouverais pas sans épée ni fusil, et avec une longue canne à pêche sur l’épaule.

– C’est ma foi vrai ! dis-je.

– Et maintenant, reprit Alan, qui tira son dirk et posa la main dessus d’une certaine façon, – je jure sur le Saint-Acier que je n’ai eu ni dessein ni rôle, ni acte ni pensée dans cette chose.

– J’en rends grâces à Dieu ! m’écriai-je. Et je lui tendis la main.

Il ne parut pas la voir.

– Et voilà bien des embarras pour un Campbell, dit-il. Ils ne sont pas si rares, que je sache.

– Du moins, repris-je, vous ne pouvez m’en vouloir réellement, car vous savez bien ce que vous m’avez dit, sur le brick. Mais la tentation et l’action sont deux, j’en rends grâces au Ciel encore une fois. Nous pouvons tous être tentés ; mais ôter la vie à quelqu’un, de sang-froid, Alan ! (Je restai une minute avant de pouvoir ajouter :)

– Et savez-vous qui a commis ce crime ? Connaissez-vous l’homme à l’habit noir ?