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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/91

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– Je ne me souviens pas trop de son habit, dit Alan, d’un air malicieux ; mais j’ai dans l’idée qu’il était bleu.

– Bleu ou noir, le connaissez-vous ? dis-je.

– En conscience, je ne pourrais le jurer. Il a passé tout près de moi, je l’avoue, mais par un singulier hasard, j’étais juste occupé à rajuster mes brogues.

– Pouvez-vous jurer que vous ne le connaissez pas, Alan ? m’écriai-je, mi en colère, mi-tenté de rire de ses dérobades.

– Pas encore, dit-il ; mais j’ai une mémoire étonnamment douée pour l’oubli, David.

– Et pourtant, dis-je, il y a une chose que j’ai vue clairement, c’est que vous vous exposiez avec moi pour attirer les soldats.

– C’est fort possible, dit Alan ; et ainsi ferait n’importe quel gentleman. Vous et moi étions innocents du fait.

– Raison de plus, puisque nous étions soupçonnés à tort, pour ne pas nous en mêler ! L’innocent doit à coup sûr passer avant le coupable.

– Ma foi, David, il reste à l’innocent quelque chance d’être acquitté en justice ; mais pour le gars qui a tiré la balle, je crois que sa vraie place est dans la bruyère. Ceux qui n’ont trempé dans aucune petite difficulté doivent se bien mettre dans l’esprit la situation de ceux qui n’ont pas eu ce bonheur. La religion, du reste, nous l’ordonne. Car, si c’était l’inverse, et que le camarade que je n’ai précisément pas bien vu eût été à notre place, et nous à la sienne (ce qui n’avait rien d’impossible), je crois que nous lui serions joliment obligés nous-mêmes d’avoir attiré les soldats à ses trousses.

Devant cette obstination d’Alan je renonçai. Mais il avait l’air si naïf, et il était tellement convaincu de ce qu’il disait, et prêt à se sacrifier pour ce qu’il jugeait être son devoir, qu’il me fermait la bouche. Les paroles de M. Henderland me revinrent, que nous pouvions nous-mêmes recevoir des leçons de ces sauvages Highlanders. Or, je venais de recevoir la mienne. La morale d’Alan était sens dessus dessous ; mais il était prêt, telle qu’elle fût, à lui sacrifier sa vie.

– Alan, dis-je, je n’affirmerai pas que c’est ainsi que je comprends la religion, mais tout de même, je vous approuve. Et, pour la deuxième fois, je vous tends la main.

Alors il me la prit entre les deux siennes, disant que je l’avais bien sûr ensorcelé, car il n’était rien qu’il ne me pardonnât. Il prit ensuite un air très sérieux, pour me dire que nous n’avions pas de temps à perdre, mais devions l’un et l’autre fuir loin de ce pays ; lui, parce qu’il était déserteur, et que tout Appin allait être fouillé comme un appartement, et chacun forcé de rendre bon compte de ses faits et gestes ; et moi, parce que je me trouvais sans nul doute impliqué dans l’assassinat.

– Oh ! dis-je, tenant à lui donner une petite leçon, je ne crains pas la justice de mon pays.

– Comme si c’était votre pays ! dit-il. Ou comme si vous deviez être jugé ici, dans un pays de Stewarts !