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LE MAÏTRE-COQ

Sur quoi je renonçai à tout commentaire, et lus sans plus m’interrompre :

« C’est lui, Blandly, qui dénicha l’Hispaniola, et il manœuvra si admirablement qu’il réussit à l’avoir pour un morceau de pain. Il y a dans Bristol une catégorie de gens excessivement prévenus contre Blandly. Ils vont jusqu’à déclarer que cette honnête créature ferait n’importe quoi pour de l’argent, que l’Hispaniola lui appartenait et qu’il me l’a vendue ridiculement cher… calomnies trop évidentes. Nul, d’ailleurs, n’ose contester les mérites du navire.

« Jusque-là, pas une anicroche. Les ouvriers, gréeurs et autres, étaient, il est vrai, d’une lenteur assommante ; mais le temps y a porté remède. Mon vrai souci concernait l’équipage.

« Je voulais une bonne vingtaine d’hommes en cas de rencontre avec des indigènes, des forbans ou ces maudits Français, et j’avais eu une peine du diable à en recruter une pauvre demi-douzaine, lorsqu’un coup de chance des plus remarquables me mit en présence de l’homme qu’il me fallait.

« Je liai conversation avec lui par un pur hasard, comme je me trouvais sur le quai. J’appris que c’était un vieux marin qui tenait un cabaret, et connaissait tous les navigateurs de Bristol. Il en devenait malade, de rester à terre, et n’attendait qu’un bon engagement de maître coq pour reprendre la mer. C’était, me conta-t-il, pour aspirer un peu l’air salin qu’il s’était traîné jusque-là ce matin.

« Je fus excessivement touché (vous l’auriez été vous-même) et, par pure compassion, je l’enrôlai sur-le-champ comme maître coq du navire. Il s’appelle Long John Silver et il lui manque une jambe ; mais c’est à mes yeux un mérite, car il l’a