Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/187

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Soudain la porte de la vacherie, fermée seulement au loquet, s’ouvrit, et une grosse voix appela :

— Oh là ! Hé ! Claude Gérard !

— Qu’est-ce ? — demanda l’instituteur, — qui est là ?

— Moi, Bijou, le porcher à M. le maire (la voix prononça le mâre), je viens de sa part, et plus vite que ça ?

— Que voulez-vous ? — dit Claude Gérard. — Entrez.

— Merci, — fit Bijou, — je me toquerais dans les vaches… j’vas vous parler d’ici… je suis pressé.

— Eh bien… parlez.

— M. le mâre y vous dit de venir demain matin, au point du jour, avec votre cloche, pour sonner quelque chose qu’il vous dira… afin que le sonnage soit fini avant que le monde ne s’en aille aux champs… voilà…

— Mon garçon, vous répondrez à M. le maire que cela me sera impossible, car M. le curé m’a ordonné de creuser une fosse demain au point du jour, pour l’enterrement d’une jeune dame. Ceci ne peut pas se remettre…

— Ah ! dame… moi… je ne sais pas… M. le mâre, il a dit ça… je vous le dis… Ah ! et puis, des laveuses sont venues se plaindre à lui, ce soir, que le lavoir avait besoin d’être curé, car le linge en devenait tout noir et puait beaucoup, tant il y avait de bourbe ; M. le mâre a dit aussi que vous curiez le lavoir demain après le sonnage…

— Mon garçon, — reprit Claude Gérard avec un calme parfait où perçait pourtant une légère ironie, — vous direz à M. le maire que, de son côté, M. le curé m’ayant ordonné de nettoyer son colombier sans retard, je me trouve fort embarrassé entre le lavoir et le colombier… pourtant, le lavoir intéressant davantage la commune, je m occuperai du lavoir, après avoir creusé la fosse, puis je sonnerai à l’heure du retour des champs.

— Je m’en vas lui dire, mais il ragera sur vous, car il est rageur… comme il n’y a pas de rageur.

— Bonsoir, mon garçon, — dit l’instituteur, voulant sans doute mettre fin à l’entretien.