Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/188

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— Bonsoir, Claude Gérard, — reprit le porcher, — je vas donc dire à M. le mâre que vous ne voulez pas sonner demain matin.

Et la porte se referma sur l’envoyé de M. le maire.

Je ne pouvais avoir alors des idées fort arrêtées sur l’étendue et la variété des fonctions d’un maître d’école, et cependant je venais d’entendre avec assez d’étonnement dame Honorine commander à Claude Gérard, de la part de M, le curé, de creuser une fosse, de balayer la sacristie et de nettoyer le colombier du presbytère. Mais ma surprise augmenta singulièrement lorsque Bijou, le porcher de M. le maire, vint à son tour, de la part de M. le maire, ordonner à Claude Gérard de sonner et de curer le lavoir public…

Ce qui me frappait beaucoup aussi, c’était la résignation remplie de douceur avec laquelle Claude Gérard semblait accepter cette multiplicité de fonctions et promettait d’accomplir des ordres si divers…

Après le départ du porcher, Claude Gérard resta un moment silencieux, puis me dit, en me regardant attentivement :

— Écoute… l’argent que l’on m’a volé ne m’appartenait pas… on me l’avait confié… tes complices m’ont échappé… l’argent est perdu pour moi… Quand on me le redemandera, comment le rendre ?… Il y avait cent vingt francs… je suis trop pauvre et je gagne trop peu pour Jamais pouvoir économiser une pareille somme… Je n’aurais qu’un moyen de prouver que l’on m’a volé… ce serait de te faire arrêter… toi… le complice du vol.

Et Claude Gérard se tut quelques secondes, sans me quitter du regard ; sa menace, qui, je le sus plus tard, n’était qu’une épreuve, me fit frémir.

— Tu as peur d’être arrêté ?… — me dit-il.

— D’être arrêté seul… oui… parce qu’en prison… je serai pour toujours séparé de mes camarades, et j’aimerais autant être tué d’un coup de fusil que de renoncer à les revoir.

— Tes camarades sont ceux qui m’ont volé ? tu les aimes donc bien ?

— Oui… oh ! oui… je les aime bien… — répondis-je les larmes aux yeux.

— Je crois que tu dis vrai… cela annonce chez toi… du cœur… Mais comment peux-tu aimer des voleurs, de misérables hommes