Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/319

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heureusement cette profession est en chômage absolu durant l’hiver. »

— Mais enfin, Monsieur, que faire ? Que me conseillez-vous ?

« — Hélas ! mon brave garçon, le seul conseil que je pourrais vous donner serait de vous laisser arrêter comme vagabond… au moins, vous trouveriez en prison un asile et du pain ; et encore, vous êtes si jeune, et la vie de prison est si contagieuse… que ce serait risquer d’y corrompre une bonne nature comme la vôtre ; la loi ne peut pas tout prévoir. »

— Ne pas prévoir cette éventualité, hélas ! si fréquente : qu’un honnête homme, malgré son bon vouloir, ne puisse trouver de travail ? — m’écriai-je avec amertume ; — la loi prévoit bien les mille délits que l’on peut commettre… comment ne prévoit-elle pas les causes qui peuvent amener ces délits ?

— Que voulez-vous ? c’est comme cela, — me répondit tristement le magistrat.

À ce moment, son secrétaire vint le chercher pour je ne sais quel grave incident. Je sortis de chez le commissaire avec cette désolante pensée que, sauf la brutalité des expressions, il m’avait tenu à peu près le même langage que le maître du garni.

Si accablante que fût cette nouvelle épreuve, je ne me rebutai pas encore. Je possédais seize sous ; or en vivant avec deux ou trois sous de pain par jour, en payant quatre sous par nuit pour coucher dans un garni, j’avais au moins deux jours assurés, et je comptais malgré moi sur quelque bonne chance. Avant de me décider à aborder les industries aventureuses dont m’avait parlé le maître du garni, je voulus tenter de trouver des moyens d’existence moins précaires.

En cheminant au hasard par les rues, j’avisai l’échoppe d’un écrivain public ; j’eus une lueur d’espoir : peut-être pourrait-il m’employer. Le jour de l’an approchait ; à cette époque de l’année, les pauvres illettrés ont ordinairement des vœux à exprimer à des parents ou à des amis absents… J’entrai timidement chez l’écrivain public ; à peine eut-il écouté ma requête et mes offres de service, qu’il referma brusquement la porte, voyant peut-être en moi un concurrent futur.