Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/320

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Je continuai d’errer çà et là ; je rencontrai sur ma route une boutique de menuisier ; connaissant assez bien l’état de charpentier, qui, en beaucoup de points, touche à la menuiserie, je hasardai une nouvelle demande au patron de cette boutique.

« — Mon garçon, — me dit-il, — de vingt bons ouvriers que j’employais dans la saison, je n’en emploie que cinq, vu le chômage des bâtiments ; comment diable voulez-vous que je vous occupe, vous qui n’êtes pas de l’état encore ?… »

Cette réponse était juste ; je m’éloignai la mort dans le cœur ; la nuit vint ; épuisé de besoin, de fatigue, j’achetai pour trois sous de pain chez un boulanger, je demandai si j’étais loin de la barrière de la Chopinette, car je comptais aller coucher dans le même garni, l’hôte étant déjà pour moi une sorte de connaissance ; mais pour me rendre à cette barrière, il m’eût fallu traverser tout Paris, car je me trouvais dans les environs du Pont-Neuf ; alors je m’informai si dans ce quartier il existait des garnis ; on m’indiqua les ruelles qui avoisinent le Louvre et la rue Saint-Honoré. Je me présentai dans une de ces sinistres demeures ; on exigea de moi non pas quatre sous, mais six sous, en raison du quartier et de la proximité du Palais-Royal, me dit-on ; mais ces deux sous de plus, affectés à ma nuit, représentaient pour moi un jour de subsistance. J’étais si harassé, j’éprouvais un froid si pénétrant, j’avais tellement besoin de repos que je me résignai à ce sacrifice ; plus méfiant cette fois, Je me couchai tout habillé, serrant précieusement dans mon gousset les sept sous qui me restaient. Il était à peine huit heures du soir ; les habitués de ces maisons toujours suspectes n’arrivant que fort tard dans la nuit, je trouvai déserte la chambre dont un des lits m’était destiné. Quels furent mes compagnons pendant cette nuit ? Je l’ignore, car je dormis d’un si profond sommeil, qu’il fallut que l’hôte vint m’éveiller, mon droit de séjour expirant à midi.

Presque convaincu d’avance de la vanité de ma requête, je demandai au maître de ce garni s’il pouvait me procurer quelque occupation. Cet homme me regarda d’un air défiant, et sans que je pusse comprendre quel sens odieux il avait attribué à ma proposition, il me répondit grossièrement :