Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/51

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boche : plus d’une fois déjà il m’avait prouvé son dévouement, quoique d’horribles enseignements eussent depuis longtemps plongé ce malheureux enfant dans une corruption bien plus profonde, bien plus haineuse que la mienne.

 
 

Il était bientôt nuit lorsque nous arrivâmes au bourg ; nous descendîmes à l’hôtel du Grand-Cerf, où s’arrêtait ordinairement la Levrasse. En descendant de voiture, il demanda à l’aubergiste comment allait le père Paillet, charron.

— Il est à toute extrémité, — répondit l’hôtelier ; — et puis, quelle misère ! onze enfants, — une femme infirme… La Mairie leur donne deux pains de charité par semaine… mais qu’est-ce que ça pour tant de monde ?

— Très-bien ! — s’écria la Levrasse sans dissimuler sa satisfaction.

Puis, prenant aussitôt un air apitoyé, il dit à l’aubergiste :

— Dites-moi, avez-vous quelques provisions froides… que je puisse emporter tout de suite ?

— Oui, Monsieur, il y a un superbe dinde qui sort de la broche et un gros pâté qui sort du four.

— Va pour le dinde et le pâté, enveloppez-les, mettez-les dans un panier avec deux pains de quatre livres et six bouteilles de vin…

— Pour cette pauvre famille ? — s’écria l’hôtelier avec admiration, — ah ! Monsieur la Levrasse… vous n’êtes pas assez connu ! quel bienfaiteur vous êtes !

— Allez, allez, mon ami, — répondit mon maître d’un ton modeste et contrit, — je ne fais pas encore tout ce que je voudrais.

Pendant que l’aubergiste se hâtait d’aller préparer les comestibles, la Levrasse dit à la mère Major :

— Donne-moi le sac.

— Le voilà.

— La couronne y est-elle ?

— Tout y est.

— Bon, reprit la Levrasse, — maintenant fais donner une avoine aux chevaux, et quand ils auront mangé…