Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/153

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L’adolescent n’eut pas l’air de remarquer cette impertinente gaîté ; mais sa colère redoubla, et il s’écria en s’adressant au marchand :

— Je vous dis, moi, que vous êtes complice de ce fripon de capitaine, vous le sentiez si bien que vous m’aviez proposé une affaire soi-disant bien meilleure, puisque, au lieu de prétendues marchandises, il s’agissait d’espèces, et qu’aujourd’hui même vous deviez me remettre vingt mille francs contre un blanc-seing signé de moi… et vous osez nier votre promesse !

— Une dernière fois, jeune homme, je déclare que jamais je ne serai complice de vos folles prodigalités… Allez trouver papa et maman. Soyez bien gentil, et ne faites pas de bruit dans ma boutique… sinon j’enverrai Laridon chercher la garde…

— Puisqu’il en est ainsi, — s’écria le jeune homme exaspéré, — vous entendrez parler de moi…

— Quand vous voudrez… je suis en règle… — dit le marchand avec calme, pendant que l’adolescent sortait en refermant violemment la porte.

— Imbécile, — dit à demi-voix M. Bonin.

Et il prit des mains du chasseur, et lut la lettre que celui-ci était sur le point de lui remettre, au moment où la colère de l’adolescent fit explosion.

Plus j’entendais la voix de M. Bonin, voix claire, aiguë, à l’accent sardonique, plus il me semblait la reconnaître. En vain je tâchais de distinguer les traits de cet homme ; je ne pouvais y parvenir, grâce à son collet toujours relevé, à son chapeau toujours enfoncé sur les yeux, et au jour de plus en plus sombre qui envahissait la boutique, au fond de laquelle je me tenais immobile.