Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/190

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— Oh ! innocence de l’âge d’or ! ô simplicité antique !… — s’écria Balthazar ! — Martin ! sans la gravité des circonstances, je te porterais moi-même en triomphe tout autour de cette chambre, en chantant tes louanges… en chœur… mais le temps manque… dépêche-toi… cours au bureau de tabac, demande cinq timbres de dix mille francs chacun, paie… et reviens…

Tout abasourdi, je descendis rapidement l’escalier, et j’arrivai chez le buraliste : c’était un vieux petit homme, à l’œil fin et pénétrant, au sourire narquois.

— Monsieur, — lui dis-je, — je voudrais avoir cinq timbres de dix mille francs chacun…

— Oh ! oh ! — me dit le buraliste en cherchant, dans un mauvais carton, un paquet de ces papiers qui me semblaient devoir être si précieux.

— Oh ! oh ! — reprit-il, — il paraît que nous avons affaire à de gros capitalistes… Voilà des gaillards qui n’y vont pas de main-morte… Cinquante mille francs !… ils font du papier comme s’il en pleuvait… Mais bah ! — ajouta-t-il d’un air paterne, — c’est de leur âge. Puis, regardant ma livrée neuve, il me dit d’un air railleur :

— Je parie que votre maître est jeune.

— Oui, Monsieur…

— J’en étais sûr, — dit le buraliste, — car, ordinairement, c’est sur ce papier-là que les jeunes gens apprennent l’écriture commerciale… Ils en font comme cela beaucoup de petits cahiers… Hélas !… que de papier perdu ! — ajouta le buraliste d’un air narquois en me rendant ma monnaie.