Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/345

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bout du doigt, — me répondit-il d’un air étrange ; — puis il ajouta : — Voici tes fonctions : Brosser mes habits… si tu veux, je n’y tiens guères… Tenir exactement la liste des visites que je fais et que je reçois… en dresser le compte et me le présenter tous les huit jours… car moi je me fais payer tous les huit jours… sans cela je serais atrocement volé… Oui, — reprit-il avec un dédain amer, — les gens riches trouvent toujours de l’argent pour entretenir des coquines, acheter des chevaux, faire chère-lie, meubler des palais, et ils n’ont jamais le sou pour le médecin à qui ils doivent pourtant cette santé, qui leur permet de caresser ces coquines, de monter ces chevaux, de faire cette chère-lie et de se gonfler d’orgueil dans leurs palais. Moi, je vends la santé à ce monde-là comme d’autres vendent du vin ou du drap… Qui me doit me paie… sinon en avant l’huissier.

Puis, fixant sur moi son regard pénétrant, le docteur me dit brusquement :

— Cette âpreté au gain te paraît ignoble… n’est-ce pas ?

— Monsieur…

— Sois sincère, — reprit-il d’une voix presque menaçante. — Je t’ai pris avec moi surtout parce que je t’ai cru vrai,… j’ai chassé celui que tu remplaces, parce qu’il m’avait menti… indice certain d’une mauvaise et vulgaire nature ; j’ai cherché long-temps ce que je dois trouver en toi, une âme loyale, élevée, quoique dans une condition infime… Prouve-moi que je ne me suis pas trompé… et souvent je penserai tout haut devant toi… Voyons, que dis-tu de ma cupidité ? hein ?