Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/405

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

me feraient à cette heure une fortune de cinq à six millions.

— Tu as gagné tant que cela ? — s’écria le capitaine Just dans son orgueil filial — et par ton seul travail ?

— Oui… par mon seul travail,… mon enfant aimé… tu trouveras dans ce registre l’emploi que j’ai fait de ces sommes considérables…

— Me rendre compte de ton bien ? à moi, ton fils ? à cette heure ? — répondit le capitaine, avec un accent de surprise pénible et de désintéressement sublime — à quoi bon ? Ne m’as-tu pas donné un état, et assuré plus qu’il ne me faut pour vivre ?

— Ce n’est pas de mon bien… que je dois te rendre compte,… mon enfant, mais de mes actes.

— De tes actes ?

— Écoute-moi… je t’ai toujours tendrement aimé,… je te l’ai prouvé,… mais tu avais des milliers de frères en humanité,… pauvres enfants délaissés par une société marâtre, et pourtant remplis d’intelligence, de cœur, de courage, de bon vouloir… Il ne leur manquait que les moyens, que les instruments de travail : un peu de loisir et d’argent pour se faire un nom dans les arts… dans les lettres… dans les sciences…

Just regarda son père avec un étonnement mêlé d’admiration ; il commençait à comprendre.

— Quand un de ces pauvres déshérités m’était signalé — poursuivit le vieillard — je m’assurais sévèrement qu’il méritait assistance,… et il était assisté,… non pas en mon nom… mon enfant… mais au tien… au nom de Monsieur Just… afin que ton nom fût béni !…