Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/131

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rante pieds, vite la loi s’émeut,… son cœur saigne, elle s’indigne, elle s’apitoie, elle s’exclame, et, au nom de l’utilité publique, elle crie haro sur le propriétaire. De gré ou de force, il est obligé de démolir sa maison. Ne choquait-elle pas la vue ? Ne gênait-elle pas quelque peu, dans un endroit donné, la circulation ? N’y avait-il pas là effrayante urgence ? énorme péril en la demeure ? Ne s’agissait-il pas de la rectitude de l’alignement ? de l’élargissement du trottoir ?

Aussi, de par l’autorité de la voirie, les prétendus droits imprescriptibles de la propriété sont lestement foulés aux pieds, et l’on oblige cet homme à démolir à l’instant sa maison,… maison paternelle peut-être,… maison où peut-être il a vu mourir sa mère.

Cette subordination de l’intérêt privé à l’intérêt de tous, part certes d’un principe admirable en soi, résumé par ces mots : — l’utilité publique (pour tous les bons esprits il y a une sainte révolution sociale dans l’intelligente et large et féconde extension de ce principe d’expropriation) : mais pourquoi limiter, au seul embellissement des villes, les conséquences de ce magnifique principe de fraternité ? Pourquoi la société, si radicalement, si légitimement agressive à la propriété, à l’individualisme, lorsque, en certaines circonstances données, la propriété, l’individualisme nuisent au bien-être commun, pourquoi la société reste-t-elle insouciante, désarmée, à l’endroit de questions tout autrement considérables que celles de l’alignement des rues, lorsqu’il s’agit enfin de la fertilisation, de la richesse du pays, et surtout de la vie… oui, de la vie du plus grand nombre de ses enfants ?