Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/259

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— Mon ami Chandavoine me soutient, — dit l’électeur influent, en montrant son voisin, — qu’il a entendu dire que la fameuse Basquine, cette actrice de l’Opéra dont on parle tant dans les journaux, était reçue comme amie par les dames de la plus haute volée, et qu’elle est à tu et à toi avec elles.

— Si nous étions à un dîner de garçons, mon cher Monsieur Chalumeau, et si vous n’étiez pas trop prude… je pourrais vous dire, et encore en gazant beaucoup… ce que c’est que Mlle Basquine, — répondit le comte avec un sourire de mépris amer ; — mais la présence de ces dames rend un tel entretien impossible.

— Mon père se fait involontairement l’écho de bruits absurdes, Monsieur, — dit soudain Scipion, l’œil brillant, la joue légèrement colorée, — oui, Monsieur, il est parfaitement vrai que les femmes du meilleur et du plus grand monde, que les hommes les plus hautement placés s’empressent de témoigner à Mlle Basquine, par les prévenances les plus délicates, la profonde et la respectueuse admiration qu’elle leur inspire, et je suis d’autant plus impartial à son égard, — ajouta Scipion en appuyant sur ces mots, — que je n’ai pas l’honneur de connaître Mlle Basquine autrement que par l’enthousiasme que son talent m’inspire.

Le comte regarda son fils avec une profonde surprise : pour la première fois depuis bien long-temps il l’entendait s’exprimer en termes graves, choisis, avec un accent convaincu, et cela, au sujet d’une femme sur laquelle couraient les bruits les plus contradictoires. Selon les uns (et le comte n’était pas de ceux-là) on voyait