Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1872-1878.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
229
les destins

Il dépose et mûrit la vie en la semence ;
Ses invisibles mains tissent la trame immense
Qui par des fils si longs, si forts et si nombreux,
Relie, attire et joint les éléments entre eux,
Qui suspend l’astre à l’astre, enchaîne l’âme à l’âme,
Par des poids mutuels ou des liens de flamme ;
C’est lui qui, par degrés, mais d’un pas incessant,
Accomplit l’harmonie en tout monde naissant.
Or, en sa langue intime à nul verbe pareille,
Mais que la voix du luth peut traduire à l’oreille,
Des différents bonheurs il pèse tour à tour
Le plus grand, qui d’abord lui semble fait d’amour ;

« Ah ! que je puisse enfin, dit-il, selon mon rêve,
Créer un monde heureux, de l’épreuve exempté,
Un monde où le bonheur entièrement s’achève,
Un monde harmonieux d’où jamais ne s’élève
          Qu’un long soupir de volupté !

« Je ferai du chaos, ce solitaire énorme,
Deux âmes en deux corps distincts pour s’embrasser,
Et que je vêtirai d’une adorable forme
D’où naisse un pur désir qui jamais ne s’endorme,
          Et se comble sans se lasser.