Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1872-1878.djvu/242

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
230
les destins


« Je veux que tout en eux diffère et se ressemble,
L’un pour l’autre nouveaux, l’un par l’autre complets,
Afin que, s’admirant tous les deux, il leur semble
De leurs êtres fondus n’en former qu’un ensemble,
          Beaux de leurs mutuels reflets.

« Ils existeront seuls, couple tout à soi-même,
Pour que nul ne puisse être infidèle ou jaloux,
Afin que l’un à l’autre ils soient le bien suprême,
Afin que l’être aimé soit de l’être qu’il aime
          Le générateur et l’époux.

« Et je veux que ce couple, alors qu’il se procrée,
Échange dans l’extase un effluve divin,
Qu’habitant immortel d’un sublime empyrée
Il ait pour ambroisie une fleur respirée
          Et pour vie un baiser sans fin. »

Partout, des profondeurs du ténébreux mélange,
Comme s’il y germait une allégresse étrange,
Pour saluer ce vœu, sort un écho léger.
Les brusques ouragans semblent soudain changer
Leur crinière farouche en des fibres de lyre,
Et l’Océan qui fume ébauche un grand sourire.