Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/306

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Tu ne m’imposes plus, car c’est moi le prodige !
Tu n’es que le poteau d’où partit le quadrige
          Qui roule au but illimité ;
Et depuis que ce char, où j’ai bondi, s’élance,
Ce que sa roue ardente a pris sur toi d’avance,
          Je l’appelle ma dignité !

Certes, mon propre élan m’est de faible ressource ;
Mais c’est le genre humain qui m’entraîne en sa course,
          D’un galop tous les jours plus prompt !
Et bientôt renversé, dépassé, foulé même,
Je garderai du moins, dans ma chute, un baptême
          De sueur olympique au front !

Et comme, en secouant la poudre des arènes,
Le lauréat vieilli cède à ses fils les rênes
          Dès qu’il se sent par eux vaincu,
Et meurt fier de léguer ses pareils à sa ville,
Et, dans le marbre, au peuple, un exemple immobile
          Où sa force aura survécu ;

Ainsi, vieux à mon tour, mes dernières années,
Par mes bras affaiblis au repos condamnées,
          Me trouveront prêt au départ ;
Et pour l’œuvre commune ayant fait mon possible
J’emporterai, vaincu, l’assurance invincible
          D’y survivre en ma noble part !