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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

est bornée par une autre île, belle et grande, nommée l’île de Montmagny[1]. Au-delà de cette île est la rivière Saint-Jean qui touche aux terres fermes du côté du nord ; au milieu ou environ de cette île, il y a deux sauts ou chutes d’eau, correspondant au saut Saint-Louis ; l’un est dans la rivière des Prairies, l’autre dans la rivière Saint-Jean. Je dirai en passant d’où sont tirés les noms de ces fleuves. La rivière Saint-Jean tire sa dénomination du sieur Jean Nicolet, truchement et commis au magasin des Trois-Rivières : il a souvent passé par tous ces endroits. La rivière des Prairies fut ainsi appelée pour ce que un certain des Prairies[2], conduisant une barque et venant à cet affour ou rencontre de ces trois fleuves, s’égara dans les îles qu’on y rencontre, tirant à cette rivière, qu’on nomma puis après son nom, au lieu de monter dans le fleuve Saint-Laurent où on l’attendait… Nous descendîmes à terre en ces trois îles que nous trouvâmes toutes fort bonnes et agréables. Je célébrai le premier sacrifice de la messe qui ait jamais été dit, à ce qu’on me rapportait, en l’île de Montmagny[3], qui est au nord de l’île de Montréal[4]. »

Comment se forma la société qui prit le soin et la responsabilité d’établir Montréal ? Les mémoires du temps nous fournissent à ce sujet de longs récits que nous ne ferons que résumer.

Madame de Combalet, madame de la Peltrie, la mère de l’Incarnation, M. de Bernières, le commandeur de Sillery, le marquis de Gamache et quelques autres bienfaiteurs de Québec s’étaient sentis portés à cette œuvre par la lecture des lettres des missionnaires, si bien que ces personnes de mérite avaient conçu l’idée de travailler pour la Nouvelle-France sans se connaître mutuellement, et ignorant quel effet les Relations des pères jésuites produisaient dans l’esprit de plusieurs de leurs compatriotes. La chose se répéta, et d’une manière encore plus admirable, au moment de la fondation de Montréal.

Il y avait à la Flèche, en Anjou, un homme de piété éminente, appelé Jérôme Le Royer, sieur de la Dauversière, qui était receveur des tailles, et dont la femme (Jeanne de Beaugé) ainsi que leurs enfants s’étaient consacrés à la sainte Famille. Avec eux vivait le sieur Pierre Chevrier, baron de Fancamp, gentilhomme âgé, fort riche, retiré du monde et adonné avec ferveur aux pratiques de la vertu. Dans le cours des années 1635, 1636, M. de la Dauversière éprouva le désir de se rendre utile aux missions du Canada ; son imagination fut bientôt absorbée par ce dessein, et on rapporte qu’il eut en songe une vue de l’île de Montréal parfaitement conforme à la réalité. Le père Chauveau, jésuite, recteur du collège de la Flèche, frappé de cette circonstance, lui conseilla de « s’employer tout de bon » à la conversion des sauvages. Le baron de Fancamp offrit son aide. C’est le 2 février 1636, paraîtrait-il, que la décision finale fut prise. Ce jour-là, MM. de la Dauversière et de Fancamp se trouvaient à Paris en quête de renseignements ; ils y rencontrèrent un prêtre nommé Jean-Jacques Olier,

  1. Peu d’années après, on lui donne le nom d’île Jésus. Édits et Ordonnances, I, 21 ; Relation, 1642, p. 36.
  2. Le même, peut-être, qui courut au secours de Champlain en 1610. Ce bras de rivière portait le nom des Prairies dès 1615.
  3. En 1615, une messe avait été dite à la sortie de la rivière des Prairies.
  4. Relation, 1637, pp. 74-5. Voir aussi Relations, 1640, p. 5 ; 1641, p. 57 ; 1642, p. 36.