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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

soldat de la garnison de Québec, montée par cinq matelots et quatre soldats, avec instruction de se rendre au lac Saint-Pierre. Le 12 juin, quarante Iroquois mirent pied à terre à la Pointe-du-Lac, et se fortifièrent à leur mode au moyen d’un retranchement de corps d’arbres, assez solide pour défier les petites pièces de fonte des chaloupes et des barques. Déjà une catastrophe était survenue à Montréal. Les Hurons, descendant à la traite, avaient rencontré, près du lieu nommé plus tard Lachine, une bande d’Iroquois, et, soit par lâcheté ou autrement, leur avaient fait connaître l’existence du poste français. Aussitôt, quarante de ces barbares s’approchèrent (9 juin) et surprirent à l’ouvrage six hommes, dont trois : Guillaume Boissier dit Guilling (de Limoges), Bernard Boête ou Berte (de Lyon) et Pierre Laforêt dit l’Auvergnat, furent tués sur le coup, et les trois autres emmenés captifs. Après cet exploit, Hurons et Iroquois passèrent la nuit ensemble à insulter les Français ; mais vers le matin, les Iroquois cassèrent la tête à une partie des Hurons, se saisirent de leurs pelleteries et, traversant le fleuve, gagnèrent les bois dans la direction de Chambly. Ce qui restait de Hurons se réfugièrent à Montréal, où on les traita avec humanité. Peu après, l’un des prisonniers français, s’étant échappé, donna des renseignements qui permirent d’aller reprendre une quantité de pelleteries abandonnées en chemin par les vainqueurs, et que M. de Maisonneuve distribua à sa petite garnison. « C’est une chose admirable combien cet homme a toujours aimé ceux qu’il a commandés, et combien il s’est peu considéré lui-même, » observe M. Dollier de Casson.

Au commencement de juillet, le gouverneur-général visita Ville-Marie, comme on appelait la cité naissante, et apporta des nouvelles de France.

Le cardinal de Richelieu était décédé le 4 décembre 1642 ; mais le roi Louis XIII avait écrit de sa main qu’il prendrait soin de la colonie de Montréal, et que, pour première marque de son intérêt, il lui faisait don d’un navire de trois cent cinquante tonneaux appelé Notre-Dame. M. de Montmagny ignorait la mort de ce prince, survenue le 14 mai.

Depuis plus de dix années, Richelieu ne s’occupait guère du Canada, et tolérait la conduite des Cent-Associés envers cette colonie. La première période de son ministère avait été remarquable dans un autre sens, car il était parvenu à faire disparaître la compagnie de Caen qui abusait de son privilège. Les Canadiens peuvent dire avec Corneille :

Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal,
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien.

L’été de 1643 se passa au milieu des appréhensions de quelques coups des Iroquois. Le gouverneur-général faisait croiser quatre chaloupes au lac Saint-Pierre. Des combats isolés avaient lieu fréquemment entre les sauvages. On n’entendait parler que d’embuscades et de massacres.

Le mois de septembre ramena un peu de confiance. Un gentilhomme de la Champagne,