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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

attachés au pays, on peut donner pour remède l’ordre de balancer avec adresse et modération[1] cette autorité par celle qui réside ez personnes envoyées par Sa Majesté pour le gouvernement : ce qui a déjà été pratiqué ; de permettre de renvoyer un ou deux ecclésiastiques de ceux qui reconnaissent moins cette autorité temporelle et qui troublent le plus par leur conduite le repos de la colonie ; et introduire quatre ecclésiastiques entre les séculiers ou les réguliers, les faisant bien autoriser pour l’administration des sacrements, sans qu’ils puissent être inquiétés ; autrement, ils deviendront inutiles au pays, parce que s’ils ne se conformaient pas à la pratique de ceux qui y sont aujourd’hui, M. l’évêque leur défendrait[2] d’administrer les sacrements. Pour être mieux informé de cette conduite des consciences, on peut entendre[3] monsieur Dubois[4], aumônier du régiment de Carignan, qui a ouï plusieurs confessions[5] en secret et à la dérobée, et M. de Bretonvilliers sur ce qu’il a appris par les ecclésiastiques de son séminaire établi à Montréal. Outre ces ecclésiastiques dont il est parlé, il y a onze prêtres du séminaire de Saint-Sulpice établis à Mont-Réal, et qui s’emploient à y desservir la cure principale avec les habitations adjacentes, du spirituel desquelles ils prennent soin, de même que de l’instruction des sauvages vers lesquels ils ont commencé d’envoyer en mission, et de la jeunesse française. Comme ces ecclésiastiques ne sont à charge ni au roi ni au pays, à cause du bien qu’ils transportent en Canada, et que d’ailleurs ils ne causent pas aux colons la peine d’esprit qu’ils ressentent par la conduite des autres[6], j’estime qu’il serait bon d’inviter M. de Bretonvilliers à y en faire (passer) tous les ans quelques-uns. Ces ecclésiastiques subsistent de leur revenu ; les pères jésuites, tant du leur que des aumônes envoyées de France, et de cinq mille livres de pension annuelle qu’on prend sur le fonds du pays pour soutenir leurs missions[7]étrangères. Le séminaire de monsieur l’évêque subsiste tant de son revenu, consistant èz seigneuries de l’île d’Orléans et Beaupré, que deux mille livres de pension annuelle sur le fonds du pays, outre mille livres pour l’entretenement de la paroisse[8], prises sur le même fonds des dîmes qu’on a commencé d’établir pour elle, et de la gratification du roi. Outre ce nombre d’ecclésiastiques, il y a trois maisons de religieuses dans Québec : celle des ursulines est composée de vingt-trois religieuses qui s’appliquent à l’instruction des jeunes filles, et subsistent tant de leur fondation que de cinq cents livres de pension annuelle que le fonds du pays fournit, et principalement de leur économie. Plus utiles encore les religieuses hospitalières de l’ordre de Saint-Augustin, établies à Québec, qui travaillent avec beaucoup de zèle et de charité à nourrir, panser et guérir les malades et blessés qui leur sont envoyés de tous les endroits du pays. Mont-Réal a son hôpital desservi

  1. Le confesseur du roi était jésuite ; il était dangereux de méconnaître son influence. Aussi Talon n’ose-t-il pas conseiller la rigueur.
  2. Ceci montre que la soumission de Mgr de Laval aux jésuites n’était pas un secret.
  3. En 1639, 1644, 1650, 1659, 1663, les Canadiens avaient porté plainte à ce sujet, mais on n’avait pas voulu les entendre.
  4. J.-Bte Dubois d’Égrizelle, prêtre, arrivé le 19 août 1665, avec M. de Salières et M. Flavien de Saint-Pons, prêtre, abbé de Carignan.
  5. Ce mot confession qui signifie aussi confidence a été employé par Fénélon contre Bossuet, lequel a passé longtemps pour avoir dévoilé le secret confié au confessionnal par Fénelon. Nous le prenons ici dans le sens de confidence.
  6. C’est-à-dire les jésuites.
  7. Les habitants payaient depuis trente ans pour les missions, tandis qu’on eût dû secourir ces mêmes habitants.
  8. L’église paroissiale de Québec fut consacrée le 11 juillet 1666.