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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

écoutez-les parler. En effet, ces rusés sauvages se servaient encore vis-à-vis des Français de la persuasion qui leur avait réussi tant de fois depuis trente ans. Les Canadiens savaient à quoi s’en tenir : ils poussaient à l’anéantissement de la race ennemie.

M. de Courcelles, le nouveau gouverneur, était chargé de conduire l’expédition. Trois cents hommes de Carignan marchaient sous ses ordres, outre cent volontaires du pays déjà prêts et auxquels se joignirent bientôt cent autres Canadiens, dont soixante et dix de Montréal. C’en était plus qu’il ne fallait pour assurer la victoire ; mais les officiers de Carignan voulurent conduire la guerre à la façon de l’Europe, et cette faute, qui se répéta, constamment jusqu’à la conquête, et dont Montcalm fut la dernière et brillante personnification, amena des revers dans toutes les entreprises ainsi dirigées. Avec les secours de France arrivait aussi la morgue européenne. L’histoire de l’Amérique (anglaise ou française) est remplie de ce mal prétendu nécessaire.

On commença par faire une campagne d’hiver. Chose absurde. M. de Courcelles partit de Québec le 9 janvier 1666. Les troupes chaussèrent la raquettes ; elles avaient à porter leurs bagages et leurs provisions. Dès le troisième jour, les nez et les oreilles des soldats tombaient par morceaux. Turenne, le plus audacieux des manœuvriers du temps, n’eut jamais songé à sortir de ses cantonnements des bords du Rhin au mois de janvier ; mais au Canada ! En quinze jours on se rendit aux Trois-Rivières ! Puis, laissant sur la route les malades et les gens gelés, et entraînant les garnisons à mesure qu’on les rencontrait, le gros de l’armée, fort de six cents hommes, atteignit les environs de Saint-Jean. M. de Courcelles partit, le 30 janvier, du fort Sainte-Thérèse (en cet endroit), et, marchant à son gré, il alla donner (15 février) un peu au-delà du fort Orange (Albany), croyant tomber en plein pays iroquois. Les pluies survinrent. Il fallut s’entendre avec le commandant hollandais. C’est de lui qu’on apprit où étaient les Iroquois. Ceux-ci étaient allés en guerre contre des tribus fort éloignées, et leurs villages ne renfermaient que des « non-combattants. » La retraite des Français commença. Avant de revoir le fort Sainte-Thérèse, l’armée perdit soixante soldats, plutôt par la faim que par le froid — mais pas un seul Canadien : ces derniers savaient se tirer d’affaire. M. de Courcelles s’en prit aux jésuites, qui, disait-il, avaient empêché les Algonquins de lui porter secours ; mais les Algonquins étaient commandés par Godefroy de Normanville, un Canadien qui ne cédait ni aux religieux ni aux autres influences. Le fait est que M. de Courcelles ne voulut pas assumer la responsabilité de son imprévoyance. Toutes nos guerres, à partir de 1666, présentent des exemples de ce savoir-faire européen.

Les Iroquois profitèrent du moment. Ils envoyèrent à Québec des délégués, avec mission de parler de la paix et reprochant aux Français d’avoir été les attaquer. Au lieu de les coffrer, on les traita en envoyés respectables. En même temps (juin 1666), les environs de Montréal étaient infesté de bandes qui massacraient les colons. Des coups semblables, avaient lieu près des forts Chambly et Sainte-Thérèse. Au miois de juillet, M. de Sorel, dirigeant une expédition contre le pays des Iroquois, rencontra quelques chefs à vingt lieues de leurs village et se laissa persuader qu’il fallait les conduire à M. de Tracy pour parler de