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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

une suspension d’armes, glorieuse pour les seuls Iroquois. Ces congés de traite dont les mémoires du temps parlent à chaque page, étaient limités, quant au nombre, et d’année en année, par instructions spéciales du roi, suivant la situation. La grande traite appartenait à des compagnies reconnues. Lorsque des faveurs pouvaient être accordées, particulièrement à des colons de mérite ou à des veuves d’officiers pauvres, le gouverneur livrait de ces congés (chacun d’eux représentait une permission de canot de traite) et si les personnes qui les recevaient n’étaient pas en état de les utiliser, les marchands les achetaient. C’était une valeur sur le marché et parfaitement cotée puisque le nombre en était limité ; M. de la Barre en distribuait à ses favoris, ou à ses associés secrets ; il se trouva qu’il en avait accordé six fois plus que son droit ne le lui permettait. Ce fait joint à son incompétence en matière diplomatique du côté des Iroquois, le fit rappeler l’année suivante (1685).

La situation du Canada était prospère pour ce qui concerne les habitants, mais une classe nouvelle et très importante, la noblesse, occupait beaucoup l’administration à cause de sa pauvreté. Il est juste d’en parler ici.

Durant la période des guerres qui commencent en 1684, la noblesse à rendu de signalés services au Canada. Cette noblesse était composée de deux classes d’hommes : 1. les Canadiens titrés pour leur mérite ; 2. les cadets des familles nobles de France qui cherchaient à se créer ici un avenir. Comme nous l’avons déjà dit, les titres de noblesse ne comportaient ni rentes, ni pension, ni commandement, ni privilèges à la façon de l’Europe : chacun payait sa position de sa personne et de ses talents, de même que sir Louis Lafontaine, sir George Cartier, sir Narcisse Belleau, sir Hector Langevin et autres de nos jours.

La première idée de la création d’une noblesse canadienne fut mise en pratique au moment où Louis XIV prenait en main la gouverne de ses États. La forme en était toute préparée par les circonstances : il fallait une noblesse territoriale, afin de développer la colonisation et procurer au peuple des chefs liés à ses plus intimes intérêts.

Le dix-septième siècle vit arriver en Canada nombre de fils de familles parfaitement ruinés et titrés, qui se mirent à l’œuvre de ce côté-ci de l’océan, dans l’espoir de se faire une carrière. La porte était ouverte à toutes les ambitions légitimes. Disons à l’honneur de ces jeunes gens que la plupart d’entre eux se montrèrent dignes des vieux noms qu’ils portaient. On leur accorda des terres, ce qui ne se refusait à personne. Ceux que leur instruction et une vocation particulière poussaient vers les professions ou le métier des armes se virent également bien accueillis. Les uns et les autres complétaient l’organisation de la Nouvelle-France et pour tout dire, grâce à eux, nous nous sommes trouvés supérieurs en capacités aux colonies anglaises, pourtant beaucoup plus fortes que nous par le nombre.

Ce qui manque ordinairement aux colonies nouvelles c’est une classe à la fois dirigeante et intéressée pour son compte au bien-être des habitants. Colbert saisit cette vérité du premier jour de son administration. Sur les bases déjà solides de nos familles rurales, il plaça la noblesse de talent et de bonne volonté, et pour que l’on comprît bien son intention, il