Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome V, 1882.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
102
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

appela à ce rang supérieur une dizaine de Canadiens susceptibles de l’honorer dans leurs personnes ou dans leurs enfants. Dès lors, tout marcha avec ordre à la satisfaction générale. À Chartier de Lotbinière, Rouer de Villeray, les d’Ailleboust, les Juchereau, les Le Neuf, les Le Gardeur, les d’Amours, les Denys, les Robineau de Bécancour, les Gourdeau, qui étaient venus isolément de France avant 1650, portant des noms de noblesse ou regardés comme tels, il ajouta, par choix judicieux, une phalange de gentilshommes, la plupart militaires, qu’il induisit à faire souche en Canada pour y perpétuer le sentiment français, en un mot édifier une Nouvelle-France. Un siècle de travaux et de combats glorieux atteste la valeur de ce présent royal fait par un grand ministre à l’humble colonie des bords du Saint-Laurent. La religion et la patrie en retirèrent un grand bénéfice. À la faveur de ce systême, nous avons pu exister comme nation et soutenir des luttes qui rappellent les beaux temps de la Grèce et de Rome. Ceux qui, de nos jours, prononcent avec mépris ou indifférence le mot noblesse sont trop enclins à se représenter les choses du moyen-âge ou des pays à moitié barbares. Rien de cela ne s’est reproduit parmi nous. Il y a eu solidarité, attachement mutuel entre l’habitant du Canada et sa noblesse. Ne l’oublions jamais, car c’est une des plus belles pages de nos annales.

La commission du marquis de la Roche (1598) lui donnait le pouvoir de « faire baux des terres de la Nouvelle-France aux gentilshommes, en fiefs, châtellenies, comtés, vicomtés et baronnies. » On sait qu’il ne résulta rien de l’entreprise de ce personnage. Plus tard (1624) il paraîtrait que le cap Tourmente, l’île d’Orléans et autres îles du voisinage, furent accordées à Guillaume de Caen à titre de fief noble, mais en 1636, la compagnie des Cent-Associés donna les mêmes terres à quelques-uns de ses membres, comme on l’a vu. L’acte de fondation des Cent-Associés (1627) conserve les dispositions de la patente du marquis de la Roche quant aux seigneuries.

Jacques Le Neuf de la Poterie avait reçu, en 1636, la seigneurie de Portneuf et il s’y établit. Peu d’années après (vers 1645) les circonstances le conduisirent aux Trois-Rivières avec sa famille. C’est alors, croyons-nous, qu’il obtint un petit morceau de terre, situé dans la ville actuelle, mesurant dix arpents en superficie, et dont il est fait mention en 1645 et 1648 comme lui appartenant. Le titre écrit lui en fut donné le 9 mars 1649. M. Le Neuf le passa à son fils, Michel Le Neuf de la Vallières, et celui-ci le vendit, le 13 novembre 1686, à « noble homme Charles Aubert, sieur de la Chesnaye, marchand bourgeois de Québec » ; dans l’acte on le désigne sous le nom de « marquisat de Sablé. » Il est possible qu’il ait appartenu ensuite à Pierre Dandonneau dit la Jeunesse, sieur de Saint-Pierre et sieur du Sablé, (habitant des Trois-Rivières dès 1651), mais Dandonneau portait le surnom de Dusablé longtemps avant 1686, alors que M. Leneuf était propriétaire du marquisat. Par la suite, la famille Boucher de Niverville l’acquit et, en 1800, le colonel Joseph Boucher de Niverville le laissa vendre à la folle enchère ; Aaron Hart, marchand, le paya vingt et un louis courants. Parmi les nombreux documents que nous avons consultés se rapportant aux Le Neuf, nous n’avons jamais rencontré le titre de marquis appliqué à des membres de cette famille. Le marquisat du Sablé a beaucoup intrigué les archéologues.