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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

contingents nombreux d’hommes attirés en dernier lieu de tous les points du globe vers ce sol privilégié, on est porté à ne voir qu’une seule et même chose, du commencement à la fin de leur histoire. Avant 1760, c’était tout le contraire d’aujourd’hui : nous les dominions de beaucoup.

Il est intéressant de lire un article publié par le New-England Almanac, en 1758, pendant la guerre de la conquête, au moment où Montcalm remportant toujours des victoires, désespérait l’immense armée qui cherchait à nous envahir. En voici des extraits : « Les Français ont érigé une ligne de forts depuis l’Ohio jusqu’à la Nouvelle-Écosse, englobant dans leur domaine toute cette riche contrée, le jardin de l’univers, qui se trouve à l’oust de nos établissements… Il fut un temps où nous eussions pu nous mettre en possession de ce territoire, grand comme la France, l’Allemagne et la Pologne réunies… Deux puissants rois ont aujourd’hui tiré l’épée pour remporter ce prix de si haute valeur… L’occasion, dit le poète, n’a qu’une mèche de cheveux : saisissons-la ! N’avons-nous pas, jusqu’ici, trop compté sur notre nombre ? Le loup qui attaque un troupeau ne se préoccupe pas de la quantité de moutons qu’il renferme (le loup, c’est le Français)… Sachons que le nombre, bien préparé par la grâce de Dieu, ferait des merveilles, et que la science militaire et la discipline conduiraient à la victoire et comme un seul homme nos légions armées. Le chiffre de notre population ne nous servira de rien tant que nos colonies ne s’entendront pas pour agir ; car, divisés nous ressemblons aux petits royaumes de l’Afrique. Si nous ne nous coalisons, corps et âmes contre notre ennemi triomphant, si les disputes nous éloignent les uns des autres, il arrivera ce que le gouverneur de la Pennsylvanie prédisait : « Nous n’aurons plus rien à nous disputer, ni de pays pour y continuer nos chicanes. » Que d’aveux dans ces quelques lignes ! Rien qu’avec cela on pourrait répondre à toutes les comparaisons blessantes dont on a été si prodigue envers nous. Et certes s’il fallait imprimer un volume de citations de cette nature, elles ne nous manqueraient pas !

Qu’étaient, territorialement parlant, les États-Unis en 1763, au jour de la cession du Canada ! Une petite lisière sur les bords de l’Atlantique, rien de plus. Si l’Angleterre, active, prévoyante, prête à faire des sacrifices pour s’assurer l’avenir, n’avait pas décidé de reculer, coûte que coûte, cette barrière restreinte, jamais, au grand jamais, les Yankees ne l’eussent fait, et pourtant le chiffre de leur population était alors vingt fois plus considérable que celui de la nôtre ! Un siècle de défaites leur pesait sur la tête. Comme auxiliaires des Anglais, dans la guerre de la conquête même, les quelques mouvements qu’ils ont tentés les ont fait battre par nos gens : demandons-en des nouvelles à Washington et à ses Virginiens. Un seul Yankee a-t-il pu mettre le pied sur notre sol avant la capitulation de Montréal, dans l’automne 1760 ? On ne voit nulle part que cet élément ait eu du poids, de la valeur, de l’esprit d’entreprise. Alors, pourquoi chercher à la défendre ? Mieux vaut « garder de Conrard le silence prudent. »

Ceux qui n’ont pu nous battre, ceux que nous avons sans cesse battus, ceux qui n’ont laissé ni souvenirs de gloire, ni travaux civilisateurs, ni presque de familles, ne peuvent