Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VII, 1882.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
117
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

être mis en comparaison avec la race formée dans la Nouvelle-France sous le nom de Canadiens.

Que des hommes qui ne sont pas leurs descendants écrivent des livres avec la prétention d’être fort adroits ou méchants, cela ne change rien à la vérité. Comme le dit un proverbe, le sang est meilleur que l’encre. Or, c’est notre sang qui a tout fait dans la période de découvertes, de colonisation et de civilisation de nos deux pays, yankee et canadien. Il n’y a pas assez d’encre pour ternir ou dénaturer cette page incomparable.

Que l’on nous rende ces parties du Maine, du Vermont, de l’Ohio comprises autrefois dans nos limites, et que l’on appelle pour les garder, d’une part, les descendants des fondateurs du Canada, de l’autre, les descendants des pionniers des colonies anglaises. Cette démonstration vaudrait des volumes de raisonnements, car nos voisins auraient à peine assez de sentinelles pour couvrir leurs postes, et pas d’armée, tandis que nous aurions sous les armes trois cent mille hommes dans la fleur de l’âge. Est-ce assez concluant ?

De quelque manière que l’on retourne l’histoire, il faut en arriver à ceci : que les Canadiens ont su découvrir, fonder, coloniser et protéger très longtemps, par leurs armes, la moitié de ce continent, et que lorsque les deux couronnes — France et Angleterre — se virent au moment suprême où l’épée trancha leurs différends séculaires, le fruit de tant de persévérance, de labeurs et d’énergie passa, par un caprice du sort, aux mains de ceux qui n’avaient rien fait pour le mériter. De cette heure date l’existence des États-Unis tels que le monde les connaît. Que les citoyens de la grande république soient fiers des progrès qu’ils ont accomplis depuis ce temps, nous n’y voyons rien que de légitime, mais qu’ils ne parlent pas de l’époque antérieure ! Ni rhétorique, ni jactance, ni sophismes ne leur serviront. Enfants gâtés d’une race qui avait tout préparé pour eux, il leur sied mal de vouloir comparer leur jeunesse à celle d’un petit peuple qui a tiré tout de lui-même, et laissé des monuments uniques dans l’histoire de la colonisation américaine.

Le groupe canadien est inattaquable. Ce rameau transplanté du vieil arbre français s’est développé malgré les circonstances exceptionnellement difficiles qui paraissaient s’opposer à son acclimatation. À l’instar de l’érable, dont la feuille constitue, avec le castor, ses emblèmes nationaux, il a crû parmi les rochers, sur le flanc abrupt des montagnes, comme le disait M. Viger, mais sa vigueur n’en est que plus grande, ses racines plus tenaces, son fil plus solide et son poli plus attrayant. Fidèles au passé, industrieux comme le castor, les Canadiens, après cinq quarts de siècle de domination britannique, sont aussi fiers de leur origine française que jaloux de soutenir le rang honorable qu’ils se sont acquis au milieu de races étrangères qui leur furent souvent hostiles.

Le bon choix des sujets, un système de colonisation judicieux, l’excellence du climat, la moralité soutenue de génération en génération, les rendements faciles d’un sol nouveau, les exercices de la guerre, un peu de la vie des bois, une instruction générale, tel est le tableau que présente l’histoire des Canadiens sous l’ancien régime, celui que l’on est convenu de voir finir à la conquête. Depuis lors, traversant une phase nouvelle remplie de dangers,