Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le bourg tout entier, avec une partie de son territoire, est couché sur un lit de déjection, dont la largeur dépasse 1 500 mètres, et couvert des champs les plus fertiles. La nature de ce terrain n’est pas douteuse, non plus que son origine. Il a été fouillé jusqu’à de grandes profondeurs par le creusement de plusieurs puits du bourg. Les tranchées d’une route nouvellement rectifiée l’ont éventré dans toutes sortes de directions. Dans le bas, la Durance a taillé des berges de plus de 70 pieds de hauteur, qui forment comme une coupe naturelle en travers du lit. Il se trouve donc à jour de tous côtés, et peut être étudié avec une extrême facilité. Partout, il se compose de pierres roulées, agglutinées par une boue calcaire. Ce poudingue est étendu par lits réguliers parallèles à la courbure de la surface : il devient plus dur et plus grossier à mesure qu’on le prend plus bas, et finit par former un béton très-compact. — Quant à la forme caractéristique, on la distingue de loin, surtout en se plaçant du côté de l’Est. Le bourg est bâti sur la région culminante ; les champs sont jetés à l’entour. Dans le fond s’élève la montagne[1] qui recèle le bassin de réception, enseveli maintenant sous de noires forêts de sapins : elle domine tout ce territoire. Enfin, vers le couchant et à l’extrémité du bourg, coule le ruisseau auteur de ces antiques dépôts ; il s’est encaissé au fond de berges hautes, tapissées de prairies et creusées dans ses propres alluvions.

Il est à remarquer que l’extinction de ce torrent, quoique fort ancienne, puisqu’elle remonte à une époque immémoriale, est néanmoins postérieure aux premiers établissements humains dans ces montagnes. En effet, on a déterré des pierres à four et du charbon enfouis à de grandes profondeurs dans le poudingue. Ces débris témoignent qu’il y avait là des hommes à une époque probablement antérieure aux âges historiques, lorsque le torrent, en pleine action, exhaussait encore son lit de déjection. Le nom du ruisseau semble même annoncer que le torrent avait conservé sa violence jusqu’à des temps plus rapprochés de nous[2].

Ces détails ne peuvent laisser aucune ombre, ni sur le fait lui-même, ni sur son interprétation. Ils ne se rapportent pas à un cas particulier,

  1. Le Morgon.
  2. Il se nomme Branafet : ce nom paraît être une corruption de celui de Bramafam, commun à plusieurs torrents ; comme si, en perdant sa violence, il avait perdu aussi le nom qui la révélait.