Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/258

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De là résultait un grand bien. Les plaines initiaient les montagnes à leur civilisation, et celles-ci communiquaient aux plaines leur sève et leur vigueur : les nations étaient renouvelées, et le flambeau était repris par des coureurs toujours jeunes. — Ramifiées, comme elles le sont sur la sphère de la planète, comme par l’effet de quelque loi providentielle, les montagnes semblent avoir distribué par tout le globe des réservoirs de forces vives, destinées à régénérer les races humaines sans cesse usées par la civilisation. Elles ont porté jusque sous la zone torride l’esprit de liberté, la rude activité, et toutes ces fortes et mâles vertus, dont certains historiens ont fait l’apanage exclusif du Nord ; mais à tort, car pas une partie de la terre n’en a été déshéritée, grâce à la présence des montagnes.

En outre, les montagnes servaient de barrière contre les peuples ennemis. — Elles donnaient un refuge aux persécutés, une retraite aux faibles ; et c’est probablement de cette manière que beaucoup d’entre elles ont été peuplées. Elles s’offraient aux proscrits, comme des forteresses toujours ouvertes à tous ceux qui demandaient asile, au saint nom de la Liberté. C’est là que se cachaient les novateurs religieux, et c’est de là qu’ils sortaient. C’est aussi là que se retiraient les débris des peuples vaincus. Souvent ces misérables restes, fortifiés lentement par les épreuves du malheur, en même temps que par l’éducation sévère des montagnes, s’y rendaient de plus en plus indomptables ; et pendant que les vainqueurs s’amollissaient dans les plaines, un peuple nouveau se formait en silence derrière des rochers. L’Espagne, au temps de Pélage, en est un bel exemple.

Tel a été, jusqu’à ces derniers temps, le rôle historique des pays de montagnes : rôle éminemment belliqueux, propice à l’esprit de résistance et aux instincts guerriers de l’humanité. — Cependant ces instincts aujourd’hui semblent s’adoucir, et la fureur de détruire fait place au goût des fondations durables et pacifiques. Peu à peu, les vieilles haines des races s’éteignent : partout le droit succède à la violence, et l’amour de l’humanité à l’amour étroit de la cité. Si cette pente générale du globe vers la pacification n’est pas seulement le rêve de quelques utopistes, mais l’inévitable avenir que prophétise la voix de l’histoire, et vers lequel nous entraînent nos mœurs et nos sympathies, les montagnes devront nécessairement changer de destination, sous peine de déchoir de leur importance.