Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/259

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Il semble, au premier aspect, qu’une fois destituées de leurs fonctions guerrières, et jetées sur un globe que les hommes ne priseront plus qu’à raison de ce qu’il produit, ou des commodités qu’il offre à leur civilisation, il semble, dis-je, que les montagnes, n’ayant pour elles ni la fertilité du sol, ni l’aisance des communications, soient destinées à devenir de plus en plus délaissées et insignifiantes. De tout temps, la civilisation s’est déployée de préférence au milieu des pays plats. Sur quels points du globe la voyez-vous prendre son premier essor ? — Dans les vallées enchantées de l’Asie, dans les plaines de l’Euphrate, sur la féconde lisière du Nil. Les populations accourent et s’agglomèrent le long des grands fleuves, ou sur les rivages de la mer. C’est là que fleurissent les arts, doux fruits de l’imagination et du bonheur ; c’est là que la société se police et se raffine ; c’est là que s’étalent les cités industrieuses et les capitales.

Cet entraînement, qui a toujours porté les peuples vers les plaines, semble devoir redoubler son effet dans les temps modernes, à cause de l’importance toujours croissante qui s’attache aux communications. Depuis qu’on s’est bien convaincu que ces voies sont les artères vitales de l’industrie et du commerce, en même temps que les propagateurs les plus efficaces de la civilisation, puisqu’elles anéantissent les distances et rapprochent tous les peuples, on a dû s’efforcer de les rendre de plus en plus parfaites. L’intérêt qui préside à la création a pris un caractère de grandeur et de généralité devant lequel sont tombés les petits intérêts des localités. Autrefois les routes grimpaient et se tordaient pour chercher les villes ; aujourd’hui ce sont les villes qui courent à la rencontre des routes. Celles-ci ne sortent guère des vallées ; elles se détournent peu volontiers de la ligne la plus droite, et insensiblement, les habitations se déplacent pour se grouper à côté d’elles.

Il n’y a pas 5 siècles, c’était une bonne fortune pour une ville d’être perchée sur quelque escarpement bien abrupt, bien inabordable, qui la mettait à l’abri des brigandages de la guerre. Les populations affluaient dans ses murs, parce qu’elles y trouvaient du repos et de la sécurité. Maintenant les temps ont changé. Le citadin n’a plus grand souci de se blottir, comme une bête fauve, dans les anfractuosités des rochers. Le pèlerin moderne chemine au grand soleil, la poitrine découverte et par les routes ouvertes à tous. Les villes s’empressent à lui ouvrir leurs portes, et pour mieux recevoir le dédaigneux marcheur, qui aime ses aises et qui connaît le prix du temps, elles descendent de leurs hauteurs et se