Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/265

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lement du point de vue de l’utilité locale, et comme une œuvre nécessaire pour empêcher la ruine d’une petite contrée. On y verra une entreprise d’un caractère tout à fait général, applicable à tous les pays de montagnes, qu’elle place dans la condition qui leur convient, et sans laquelle ils couvriront inutilement le sol.

On a trop souvent répété que des pays semblables à celui-ci ne valent pas les sacrifices qu’on ferait pour en tirer quelque utilité : on les regarde comme dévoués éternellement à la pauvreté et à l’isolement. C’est là, selon nous, une profonde et funeste erreur, car elle ne tendrait à rien moins, si elle était décidément accréditée, qu’à délaisser ces malheureux pays, et à reporter tous les soins et les trésors de l’État sur les contrées qui rendent déjà aujourd’hui tout ce qu’elles peuvent donner. Il nous paraît, tout au contraire, que s’il faut redoubler quelque part de sollicitude et de libéralité, c’est là où rien n’est fait, et où tout reste à faire.

Jusqu’à ce jour, on n’a guère considéré cette partie des Alpes que sous la figure d’un colossal massif, jeté entre la France et l’étranger, et fournissant à la patrie d’admirables frontières, à l’ombre desquelles elle pouvait librement discuter ses lois et développer sa puissance. C’est là, en effet, un incontestable service que nous leur devons. Mais jamais on n’a pensé qu’elles fussent bonnes à autre chose qu’à ce rôle purement stratégique.

Dans la crainte qu’on ne s’armât de pareilles raisons pour repousser nos propositions, nous avons essayé de faire entrevoir que nos Alpes pourraient nous rendre encore d’autres services ; qu’elles ont, comme tous les pays de montagnes, leurs propriétés originales, et qu’elles ne sont ni sans avenir, ni sans valeur : avenir agricole par les forêts, les prairies et les troupeaux ; avenir industriel, par les cours d’eau, les combustibles et les richesses minérales.

Je demanderai à ceux pour qui le mot de pays perdu paraît une raison si péremptoire, et qui parlent si lestement d’abandonner une contrée à sa ruine, je leur demanderai s’il nous sied bien de dénigrer à la volée des lambeaux considérables de notre territoire, lorsqu’autour de nous pullulent et s’agitent des nuées de prolétaires, sans pain et sans asile, qu’un arpent de terre arracherait pour toujours aux funestes tentations de la faim, et qui errent menaçants au travers de nos sociétés, sans pouvoir l’y trouver ?… Plus la population s’entasse, plus il serait sage d’augmenter l’importance des travaux, dont le but est d’accroître les produits du sol : car le premier besoin de l’homme et la plus grande plaie des sociétés, c’est