Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/518

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Je voi la trahison.

Salsbury.

Je voi la trahison.Pour moi, sans me connoître,
Tout plein de ma douleur, n’en étant plus le maître,
J’avance, & cours vers lui d’un pas précipité.
Aux piéds de l’échafaud je le trouve arrêté.
Il me voit, il m’embrasse, &, sans que rien l’étonne,
Quoiqu’à tort, me dit-il, la reine me soupçonne,
Voyez-la de ma part, & lui faites savoir
Que rien n’ayant jamais ébranlé mon devoir,
Si contre ses bontés j’ai fait voir quelque audace,
Ce n’est pas par fierté que j’ai refusé grace.
Las de vivre, accablé des plus mortels ennuis,
En courant à la mort, ce sont eux que je fuis.
Et s’il m’en peut rester, quand je l’aurai soufferte,
C’est de voir que déjà triomphant de ma perte,
Mes lâches ennemis lui feront éprouver…
On ne lui donne pas le loisir d’achever.
On veut sur l’échafaud qu’il paraisse ; il y monte,
Comme il se dit sans crime, il y paroît sans honte ;
Et saluant le peuple, il le voit tout en pleurs
Plus vivement que lui ressentir ses malheurs.
Je tâche cependant d’obtenir qu’on differe,
Tant que vous ayez sû ce que l’on ose faire.
Je pousse mille cris pour me faire écouter ;
Mes cris hâtent le coup que je pense arrêter.
Il se met à genoux ; déjà le fer s’apprête,
D’un visage intrépide il présente sa tête,
Qui du tronc séparée…

Élisabeth.

Qui du tronc séparée…Ah ! Ne dites plus rien,
Je le sens, son trépas sera suivi du mien.
Fiere de tant d’honneurs, c’est par lui que je régne,
C’est par lui qu’il n’est rien où ma grandeur n’atteigne ;
Par lui, par sa valeur, ou tremblans, ou défaits,
Les plus grands potentats m’ont demandé la paix,