Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/62

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Ravie à votre espoir, sûre de mon repos,
Je n’avois qu’à parler, j’étois reine d’Argos.
Il n’eut point comme vous, pour me donner ce titre,
Attendu que la guerre en eut été l’arbitre.
Il n’eut point, pour m’oser soumettre ses États,
Attendu comme vous la fin de vos combats.
J’ai d’Achille amoureux préféré la promesse
A l’honneur assuré de régner sur la Grèce,
Son cœur m’a plus été qu’un diadème offert,
J’ai tout fait pour lui plaire, et c’est lui qui me perd.

ACHILLE

Madame, il seroit bon… Épargnez-moi de grâce,
Le titre de Vainqueur peut donner de l’audace,
Et je serois fâché que de trop durs adieux…

BRISEIS

L’ordre presse, j’entends, il faut quitter ces lieux,
Sans rien examiner sur tout ce qui m’arrive,
C’est à moi d’obéir, je suis votre captive,
Quoi que le nom me blesse, il m’est encor plus doux
De l’entendre de moi, que de l’ouïr de vous ;
Mais je puis dire au moins, quelle qu’en soit la honte,
Quand de cette captive on fait si peu de compte,
Qu’elle a vu mille fois son Vainqueur à ses pieds
Tenir pour la toucher ses vœux humiliés,
Et lui sacrifiant sa fierté naturelle,
Baiser avec respect les fers qu’il prenoit d’elle.
Après tant de devoirs, si son cœur aujourd’hui
Trouve qu’une Captive est indigne de lui,
Si le nom que j’en eus à m’oublier l’engage,
L’étois-je moins alors, la suis-je davantage,
Ou cet Achille, heureux quand il se soumettoit,
Parce qu’il est perfide, est-il plus qu’il n’étoit ?

ACHILLE

Vous le savez peut-être, Achille est fier, Madame,
Et quoi qu’il ait voulu devoir à votre flamme,
Dans l’inquiet souci qui trouble sa raison
Des reproches si durs ne sont pas de saison.