Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/63

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Si de quelques ennuis je suis pour vous la cause,
L’amour qui m’y contraint me coûte quelque chose,
Et c’est trop hasarder après ce que j’ai fait,
Qu’irriter un amour qui n’est pas satisfait.

BRISEIS

Et c’est, ingrat, c’est-là ma plus sensible peine.
Je lis dans votre cœur le remords qui vous gêne,
Vous souffrez. Briseis que vous voulez bannir
S’offre encor malgré vous à votre souvenir.
Malgré vous de Pyrrhus l’accablante disgrâce
D’un supplice éternel vous porte la menace,
Et quel fruit se promet vôtre esprit aveuglé
D’une Amante trahie, et d’un Fils immolé ?
Je l’avoue avec vous, Polixène a des charmes,
C’est moi qui contre moi vous ai prêté des armes,
C’est moi qui lui faisant embrasser vos genoux
Ai demandé la mort que je reçois de vous.
J’ai commencé, j’achève, et mon amour extrême
Ne veut dans ce qu’il fait regarder que vous-même.
Votre raison surprise applaudit à vos sens,
Polixène vous plaît, voyez-la, j’y consens,
Par les soins les plus doux, par le plus tendre hommage
Tâchez de l’engager comme elle vous engage,
Méritez que pour vous son cœur soit enflammé,
Et rendez-vous heureux si vous êtes aimé.
Sans espoir, sans repos, errante, infortunée,
J’irai loin de vos yeux pleurer ma destinée,
Heureuse dans ce triste et déplorable sort
Qu’au moins vôtre bonheur soit le prix de ma mort ;
Mais qu’un aveugle amour qui vous trahit vous-même,
Vous donne à qui vous hait, vous ôte à qui vous aime,
Qu’Achille malheureux réduise Briseis…

ACHILLE

Madame, c’est assez, le dessein en est pris,
Contre un cœur résolu la résistance est vaine,
Heureux ou malheureux, j’épouse Polixène :