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4 LIVRE II. LA RENAISSANCE.

de rudes gaillards, et il n’y a point de mois où le cri de "clubs" (en avant les gourdins !) ne les appelle hors de leur boutique pour exercer leurs bras charnus. Comme la bière fait son effet, il y a une longue cuve adossée au parterre, réceptacle singulier qui sert à chacun. L’odeur monte, et l’on crie : « Brûlez du genièvre ! » On en brûle avec un réchaud sur la scène, et la lourde fumée emplit l’air. Certainement, les gens qui sont là ne sont guère dégoûtés ou du moins n’ont pas l’odorat sensible. Au temps de Rabelais, la propreté était médiocre. Comptez qu’ils sortent à peine du moyen âge, et que le moyen âge a vécu sur un fumier.

Au-dessus d’eux, sur la scène, sont les spectateurs capables de payer un shilling d’entrée, les élégants, les gentilshommes. Ceux-là sont à l’abri de la pluie, et s’ils payent un shilling de plus, ils peuvent avoir un escabeau. A cela se réduisent les prérogatives du rang et les inventions du bien-être ; même il arrive souvent que les escabeaux manquent ; alors ils s’étendent par terre ; ce n’est pas en ce temps-là qu’on fait des façons. Ils jouent aux cartes, fument, injurient le parterre qui le leur rend bien, et par surcroît leur jette des pommes. Pour eux, ils gesticulent, ils jurent en italien, en français, en anglais ; ils plaisantent tout haut avec des mots recherchés, composites, colorés ; bref, ils ont les manières énergiques, originales et gaies des artistes, la même verve, le même sans-gène, et, pour achever la ressemblance, la même envie de se singulariser, les mêmes besoins d’imagination, les mêmes inventions saugrenues et pittoresques, la barbe taillée en éventail, en pointe, en bêche, en T, les habits i. Ben Jonson, Every man in his humour ; — Cynthia's Revels.