Page:Taine - Histoire de la littérature anglaise, t. 2, 1905.djvu/13

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I


Essayons donc de remettre devant nos yeux ce public, cet auditoire et cette scène ; tout se tient ici, comme en toute œuvre vivante et naturelle, et, s’il y eut jamais une oeuvre naturelle et vivante, c’est celle-ci. Il y avait déjà sept théâtres au temps de Shakespeare, tant le goût des représentations était vif et universel. Grandes et grossières machines, incommodes dans leur structure, barbares dans leur ameublement ; mais la chaleureuse imagination supplée aisément à tous les manques, et les corps endurcis supportent sans peine tous les désagréments. Sur un terrain fangeux, au bord de la Tamise, s’élève le principal, le Globe, sorte de grosse tour à six pans, entourée d’un fossé boueux, surmontée d’un drapeau rouge. Le peuple peut y entrer comme les riches ; il y a des places de six pence, de deux pence, même d’un penny ; mais on n’en a que pour son argent ; s’il pleut, et il pleut souvent à Londres, les gens du parterre, bouchers, merciers, boulangers, matelots, apprentis, recevront debout la pluie ruisselante. Je suppose qu’ils ne s’en inquiètent guère : il n’y a pas si longtemps qu’on a commencé à paver les rues de Londres, et, quand on a pratiqué comme eux les cloaques et les fanges, on n’a pas peur de s’enrhumer. En attendant la pièce, ils s’amusent à leur façon, boivent de la bière, cassent des noix, mangent des fruits, hurlent et parfois se servent de leurs poings ; on les a vus tomber sur les acteurs et mettre le théâtre sens dessus dessous. D’autres fois, mécontents, ils sont allés à la taverne bâtonner le poète, ou le berner dans une couverture ; ce sont