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LA RÉVOLUTION


curé en est exclu par la loi, et, sauf en Vendée, le seigneur en est exclu par l’opinion. D’ailleurs, en beaucoup de provinces, on ne parle que patois[1] ; le français, surtout le français philosophique et abstrait des lois et proclamations nouvelles, demeure un grimoire. Impossible d’entendre et d’appliquer les décrets compliqués, les instructions savantes qui arrivent de Paris. — Ils viennent à la ville, se font expliquer et commenter tout au long l’office dont ils sont chargés, tâchent de comprendre, paraissent avoir compris, puis, la semaine suivante, reviennent n’ayant rien compris du tout, ni la façon de tenir les registres de l’état civil, ni la manière de dresser le rôle des impôts, ni la distinction des droits féodaux abolis et des droits féodaux maintenus, ni les règles qu’ils doivent faire observer dans les opérations électorales, ni les limites que la loi pose à leur subordination et à leurs pouvoirs. Rien de tout cela n’entre dans leur cervelle brute et novice ; au lieu d’un paysan qui vient de quitter ses bœufs, il faudrait ici un homme de loi, aidé d’un commis exercé. — À leur ignorance, ajoutez leur prudence ; ils ne veulent pas se faire d’ennemis dans leur commune, et ils s’abstiennent, surtout en matière d’impôt. Neuf mois après le décret sur la contribution patriotique, « 28 000 municipalités sont en retard, et n’ont (encore) envoyé ni rôles ni aperçus[2] ».

  1. À Montauban, dans le salon de l’intendant, les dames du pays ne parlaient que patois, et la grand’mère de la personne très bien élevée qui m’a raconté ce fait n’entendait pas d’autre langue.
  2. Moniteur, V, 163, séance du 18 juillet 1790. Discours de M. Le Couteulx, rapporteur.