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LA RÉVOLUTION


son jeu d’idéologie, sa fiction abstraite. Cette fiction, elle l’exécute de point en point. Un contrat social effectif et spontané, une immense assemblée d’hommes qui, pour la première fois, viennent librement s’associer entre eux, reconnaître leurs droits respectifs, s’engager par un pacte explicite, se lier par un serment solennel, telle est la recette sociale prescrite par les philosophes : on la suit à la lettre. — Bien plus, comme la recette est réputée infaillible, l’imagination entre en branle, et la sensibilité du temps fait son office. Il est admis que les hommes, en redevenant égaux, sont redevenus frères[1]. Une subite et merveilleuse concorde de toutes les volontés et de toutes les intelligences va ramener l’âge d’or sur la terre. Il convient donc que le contrat social soit une fête, une touchante et sublime idylle, où, d’un bout de la France à l’autre, tous, la main dans la main, viennent jurer le nouveau pacte, avec des chants, des danses, des larmes d’attendrissement, des cris d’allégresse, dignes prémices de la félicité publique. En effet, d’un accord unanime, l’idylle se joue comme d’après un programme écrit.

Le 29 novembre 1789, à L’Étoile près de Valence, les fédérations ont commencé[2]. Douze mille gardes nationaux des deux rives du Rhône se promettent « de rester

  1. Adresse de la Commune de Paris, 5 juin 1790. « Qu’au même jour (l’anniversaire de la prise de la Bastille) un cri plus touchant se fasse entendre : « Français, nous sommes tous frères ! Oui, nous sommes frères, nous sommes libres, nous avons une patrie ! » (Buchez et Roux, VI. 275.)
  2. Buchez et Roux, IV, 3. 309 ; V. 123 ; VI, 274, 399. — Duvergier, Collection des lois et décrets. Décret du 8-9 juin 1790.