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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


ties ; le régiment d’Ernest, qui reste seul, va être travaillé, puis insulté, puis renvoyé. Retiré à Aix, la garde nationale de Marseille s’y transportera pour le désarmer et le dissoudre. Désormais la municipalité a les coudées franches, « n’observe que les lois qui lui conviennent, se permet d’en faire à sa guise, bref gouverne de la façon la plus despotique et la plus arbitraire[1] », non seulement à Marseille, mais dans tout le département, où, de sa seule autorité, à main armée, elle fait des expéditions, des coups de main et des razzias.

III

Si du moins la dissolution s’arrêtait là ! — Mais tant s’en faut que chaque commune soit un petit État pacifique sous des magistrats obéis. Les causes qui révoltent les municipalités contre l’autorité du centre révoltent les individus contre l’autorité du lieu. Eux aussi, ils se sentent en danger et veulent pourvoir à leur salut. Eux aussi, de par la Constitution et les circonstances, ils se croient chargés de sauver la patrie. Eux aussi, ils se jugent en état de tout décider par eux-mêmes et en droit de tout exécuter par leurs propres mains. Électeur et garde national, muni de son vote et de son arme, le boutiquier, l’ouvrier, le paysan est devenu tout d’un coup l’égal et le maître de ses supérieurs ; au lieu d’obéir, il commande, et les observateurs qui le revoient

  1. Archives nationales, F7, 3198. Lettres des commissaires du roi, 15 et 15 avril 1791.