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LA RÉVOLUTION


après quelques années d’absence trouvent que « dans son maintien, dans son geste, tout est changé ». — « Un mouvement extraordinaire, dit M. de Ségur[1], régnait partout. J’apercevais dans les rues, sur les places, des groupes d’hommes qui se parlaient avec vivacité. Le bruit du tambour frappait mes oreilles au milieu des villages, et les bourgs m’étonnaient par le grand nombre d’hommes armés que j’y rencontrais. Si j’interrogeais quelques individus des classes inférieures, ils me répondaient avec un regard fier, un ton haut, hardi. Partout je voyais l’empreinte de ces sentiments d’égalité, de liberté, devenus alors des passions si violentes. » — Ainsi relevés à leurs propres yeux, ils se croient appelés à tout conduire, non seulement dans leurs affaires locales, mais encore dans les affaires générales. C’est à eux de régir la France : en vertu de la Constitution, ils s’en arrogent le droit, et, à force d’ignorance, ils s’en attribuent la capacité. Un torrent d’idées neuves, informes et disproportionnées, s’est en quelques mois déversé dans leurs cervelles. Il s’agit d’intérêts immenses auxquels ils n’avaient jamais pensé, du gouvernement, de la royauté, de l’Église, du dogme, des puissances étrangères, des périls intérieurs et extérieurs, de ce qui se passe à Paris et à Coblentz, de l’insurrection des Pays-Bas, des cabinets de Londres, Vienne, Madrid, Berlin, et, de tout cela, ils s’enquièrent comme ils peuvent. Un officier[2] qui traverse la France raconte que les

  1. Ségur, Mémoires, III, 482 (premiers mois de 1790).
  2. Dampmartin, I, 184 (janvier 1791).