Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/12

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sophie littéraire ; ils n’y voyaient qu’une rhétorique élégante, et quand on leur demandait ce que c'est que la philosophie classique, ils répondaient que c'est la philosophie, à l’usage des classes.

De ces conversations est sorti le livre qu'on va lire. Je leur ai conservé leur tour et leur franchise ; mes personnages sont presque tous réels. J’avais du plaisir à copier mes souvenirs. Je sais que ces façons sont irrévérencieuses, et qu’on ne doit jamais appeler une chose par son nom. Mon excuse est que ce livre n'est point fait pour les personnages établis. Je souhaitais persuader mon lecteur, et mon lecteur ne doit pas avoir trente ans. Passé cet âge, les opinions sont faites ; on lit pour s’amuser, pour être au courant de ce qui s’écrit, pour s’éclairer sur un détail. Quant aux fondements, ils sont bâtis, maçonnés, inébranlables ; autour d’eux l’habitude, la paresse d’esprit, les occupations pratiques, la nécessité de ménager les puissances, le désir de garder ses amitiés font comme un ciment que rien ne peut dissoudre. Désormais on ne renouvelle plus sa philosophie ; on tire les conséquences de celle qu’on s'est choisie, ou plutôt, ordinairement, on n’en a plus ; on songe à des choses plus importantes, aux intérêts d’argent, d’ambition, de parti ; on aperçoit les discussions abstraites derrière soi, dans un lointain obscur, comme un exercice de jeunesse ; on sourit des gens naïfs qui s’y livrent ; on les regarde de haut, et l’on s’amuse à les voir raisonner sur les causes, comme on se divertit à voir les enfants qui jouent au palet, C'est donc pour les jeunes gens qu’il fallait écrire. De vingt à vingt–huit ans, beaucoup d’entre eux pensent ;