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II


Si M. Cousin a forcé son talent en se faisant historien, il l’a violenté en se faisant biographe et peintre de portraits.

C’est que l’imagination du peintre ne ressemble guère à celle de l’orateur. On a beau être éloquent, on n’a pas pour cela la faculté de faire revivre les êtres. Corneille et Racine ont fait des discours admirables, et n’ont pas créé un seul personnage tout à fait vivant. Shakspeare n’a pas fait un seul discours concluant et éloquent, et toutes ses figures ont le relief, la vérité, l’animation, l’originalité, l’expression des physionomies réelles. Comparez, pour comprendre la différence de ces deux facultés, l’histoire de la Direction au dix-septième siècle par M. Michelet[1] avec l’œuvre de M. Cousin. Le premier sait ranimer les morts ; les sentiments éteints reparaissent dans son âme ; il ne déduit pas logiquement une idée d’une autre ; il ne construit pas noblement de larges périodes ; il n’essaye pas de conduire régulièrement un auditoire d’esprits pesants vers une vérité lointaine : il n’est pas maître de lui-même : il y a quelque chose de fiévreux dans son inspi-

  1. Le prêtre, la femme et la famille, par J. Michelet, 1re partie.