Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/139

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l’âme qui les écoute ; ils sont la parole du génie ; ils ne sont donnés qu’à l’artiste, et changent la triste langue des analyses et des syllogismes en une sœur de la poésie, de la musique et de la peinture. Si vous n’avez pas ces visions, si vous n’êtes pas obsédé par les tout-puissants fantômes des morts que vous voulez rendre à la lumière, si les personnages ressuscites n’habitent pas votre esprit, avides d’en sortir et de rentrer dans la vie, n’essayez pas d’être peintre. Appelez l’éloquence à votre aide, faites des panégyriques, prononçez des oraisons funèbres, enseignez la morale au public, établissez des théories sur le beau, rassemblez des documents inédits ; soyez orateur, professeur, prédicateur, tout ce qu’il vous plaira : vous ne parviendrez qu’à écrire longuement une histoire froide. C’est ce qu’a fait M. Cousin.

Donnons-nous le spectacle d’un talent dépaysé. Au lieu d’une peinture, l’éloquence fournit des éloges et des raisonnements ; nous aurons donc un éloge raisonné. Tout le monde sait que M. Cousin s’est fait le chevalier servant de Mme de Longueville. La noble dame a eu le rare honneur de faire des conquêtes posthumes, et les froides murailles de la Sorbonne n’ont pas défendu M. Cousin contre les traits de ses beaux yeux. Il s’est épris si vivement qu’il a parlé de Condé comme d’un beau-frère et de La Rochefoucauld comme d’un rival.