Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/217

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Ainsi marche l’humanité : elle n’avance que sur des débris. La mort est la condition de la vie ; mais pour que la vie sorte de la mort, il faut que la mort n’ait pas été entière. Si, dans les orages de l’humanité, le passé disparaissait tout entier, il faudrait que l’humanité recommençât à frais nouveaux sa pénible carrière. Le travail des pères serait perdu pour les enfants : il n’y aurait plus de famille humaine : il y aurait solution de continuité entre les générations et les siècles. Et d’un autre côté, si ce monde qui doit faire place à un monde nouveau laissait un trop riche héritage, il empêcherait que le nouveau ne s’établit. Il faut que quelque chose subsiste du passé, ni trop, ni trop peu, qui devienne le fondement de l’avenir et maintienne, à travers les renouvellements nécessaires, la tradition et l’unité du genre humain.

Voilà la philosophie, la poésie et l’éloquence introduites au milieu de l’érudition Cette philosophie est un peu vague ; cette loi de l’histoire improvisée par une inspiration aventureuse est incertaine ; les conséquences que M. Cousin en tire un instant après contre la Renaissance sont assez fausses. Mais un souffle intérieur emporte toutes ces phrases ; la pensée est noble, l’impression grande, et le morceau, dans ses défauts et dans ses mérites, rassemble assez bien les mérites et les défauts de M. Cousin.