Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/226

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l’abord, on découvrait en lui un foyer secret d’ardeur inextinguible, plus violente et plus puissante que l’éblouissante illumination de M. Cousin. Moins il s’épanchait, plus on le sentait brûler. Ces répétitions redoublées annonçaient, par leurs tâtonnements opiniâtres, un esprit insatiable de l’expression exacte, incapable de se reposer dans les idées ébauchées, invincible à la fatigue, obstiné à marcher jusqu’à ce qu’il eût atteint la parfaite clarté. Ces divisions infinies annonçaient, par leurs précautions multipliées, une intelligence avertie de l’étroitesse de la route et du débordement d’erreurs qui l’entoure, décidée à ne pas faire un pas avant d’avoir exploré ou assuré le terrain qu’elle allait fouler. On voyait qu’il ne poursuivait que le vrai, qu’il y employait toute sa force, qu’il n’en dépensait rien pour des intérêts étrangers, qu’il ne songeait ni à briller ni à plaire, qu’il était penseur et non orateur, qu’il se servait de la parole par occasion et non par amour de la parole. On était rempli de respect et de confiance, et quand un tremblement de la voix ou quelque image subite indiquait la découverte d’une vérité importante, on apercevait dans ce faible signe plus d’émotion et d’éloquence que dans les magnifiques dithyrambes de son rival.

Par nature et par éducation, M. Jouffroy fut un homme intérieur. Cette disposition était le trait