Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/228

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Il a raconté lui-même sa conversion, et comment de chrétien il devint philosophe. Ce ne fut point une découverte tranquille, mais une révolution sanglante. Dans de pareilles âmes, les dogmes déracinés arrachent et emportent avec eux les parties les plus vives et les plus sensibles du cœur. Leurs opinions sont des sentiments, leurs croyances sont des passions, leur foi est leur vie ; et quand le raisonnement intérieur leur défend de croire, c’est comme s’il leur commandait d’abjurer leur père et leur pays. Quinze ans plus tard, son âme se soulevait encore au souvenir de cet orage. Le coup avait été si fort, que le contrecoup lointain l’emporta jusque dans la poésie ; son récit fut un drame, presque lyrique ; son style sévère et contenu s’épancha tout d’un coup en images passionnées et pressées. Il y eut telle page qui rappela les lamentations sublimes de Byron et de Lamartine ; l’accent fut si sincère, la douleur si grande, l’expression si riche, qu’il faut tout citer[1] :

Le jour était venu où, du sein de ce paisible édifice, de la religion qui m’avait recueilli à ma naissance, et à l’ombre duquel ma première jeunesse s’était écoulée, j’avais entendu le vent du doute, qui de toutes parts en battait les murs et l’ébranlait jusque dans ses fondements. Ma curiosité n’avait pu se dérober à ces objections puissantes,

  1. Nouveaux mélanges, p. 112.