Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/246

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humaine, capacité sensible, personnalité qui ne gouverne plus, pouvoir qui garde la vertu de faire ; il n’y trouvera que des monstres. Prises à la lettre, ces expressions sont des monceaux de contradictions et de non-sens. Parfois même l’absurdité pénètre, par contagion, des mots jusqu’à l’idée : « Les capacités de l’arbre ne lui appartiennent pas, et ce qu’elles produisent ne saurait lui être attribué[1]. » Est-il possible qu’un homme ait écrit cette phrase ? Et surtout, est-il possible que cet homme soit M. Jouffroy ? — Ces fautes découvrent une dernière habitude de son esprit, et achèvent son portrait. Il n’était point de ceux qui marchent droit au but, d’un élan géométrique ou inflexible, pour s’asseoir du premier coup dans la formule unique et dans l’expression définitive. Il s’attardait en chemin, il tentait diverses voies, il jetait vingt fois les yeux autour de lui, il n’avançait que par zigzags. Il distinguait, il divisait, il expliquait, il avertissait, il se précautionnait sans cesse. Son Cours de droit naturel contient deux volumes et demi de réfutations et de préambules. Son Esthétique, avant de définir le beau, dépense un demi-volume sur des beautés qui ne sont pas la vraie beauté, et n’en omet pas une seule. Son Mémoire sur l’organisation de la philosophie, sa préface des

  1. Mélanges, p. 316.