Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/253

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voir à tout le monde que nous avons connaissance de nos sensations, de nos idées, de nos plaisirs, de nos peines, de nos désirs, de nos résolutions ; que cette connaissance est perpétuelle ; qu’elle est commune à tous les hommes ; que ni les yeux, ni les oreilles, ni les mains, ni aucun sens n’y a part ; que néanmoins elle est indubitable, et que lorsque nous mangeons une pêche, nous ne sommes pas plus assurés de la présence de la pêche que de la présence de notre plaisir. Il y a donc des faits intérieurs et non sensibles aussi réels que des faits extérieurs et sensibles. Il y a donc une observation intérieure de conscience aussi véridique que l’observation extérieure des sens. Il y a donc dans la science de l’âme un objet et un instrument comme dans la science des corps.

Cet instrument, manié maladroitement par le vulgaire, peut être manié adroitement par des hommes spéciaux. L’observation intérieure comme l’observation extérieure, n’embrasse d’abord que des masses, et n’atteint que tardivement et péniblement les détails. L’homme ordinaire, apercevant un lis, ne voit qu’une grande fleur blanche dont le calice évasé contient des fils jaunâtres ; le botaniste distingue la corolle, les six pétales, l’ovaire, le style, le stigmate, les étamines, les anthères, le pollen, les divers changements et les divers rapports de toutes ces parties depuis leur