Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/261

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mettre au large, se répandre vers l’objet ? » Autant vaudrait dire, avec les écrivains lyriques, que l’âme monte aux deux, chevauche les nuages, pénètre au sein des rochers, se fond dans la nature. Plus tard vous avez « la sensibilité, qui se contracte, se concentre et repousse. » Toutes ces phrases ne me donnent que l’idée d’un muscle, d’un ressort élastique ou d’un morceau de caoutchouc.

Parfois les naturalistes lisent la description d’une plante dans un poète scolastique ; impossible de l’entendre. Ils prennent alors la plante, et, refaisant le travail, finissent par arriver au sens. Prenons les faits ; en les décrivant de nouveau, nous déchiffrerons peut-être la description de M. Jouffroy.

Vous donnez un bon coup de dent dans une belle pêche rouge, sucrée, fondante ; toutes les papilles de votre langue dressent leurs houppes nerveuses pour s’imprégner du suc exquis de la chair rose et juteuse, et vous avez une sensation de saveur. Voilà le point de départ. Vous considérez attentivement cette sensation délicieuse ; momentanément les autres sensations s’effacent sous sa prépondérance ; vous avez du plaisir à ne considérer qu’elle et à oublier le reste. En même temps, par contagion, surviennent diverses idées agréables : « Je n’ai jamais mangé une meilleure pêche ; quel bon fruit que la pêche ! certainement